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pierre du chemin, examine l’armée finlandaise d’un côté, l’armée russe de l’autre. Là où le choc est le plus ardent, on voit son regard se fixer, et une vive lumière illumine parfois son visage.

« Les balles aveugles sifflent incessamment autour de lui ; autour de lui tombent les nobles moissons de la mort, mais il ne quitte pas sa place, il est calme et content, et pas une balle n’atteint le vieillard.

« Selon les hasards de la journée, il se trouve entouré tantôt par des assaillans et tantôt par des fuyards ; mais à travers tous les incidens du combat, amis et ennemis le respectent également

« Le jour s’avance, et le soleil est déjà aux portes de l’occident. La valeur de l’armée finlandaise a finalement conquis la victoire. Toute résistance est brisée, tout ennemi a pris la fuite, tout rentre dans le calme et le repos.

« La dernière compagnie descend de la colline, et, en se retirant, passe devant le vieux soldat. Il se lève alors, et de sa voix la plus forte : « Jeunes et braves enfans de notre chère patrie, dit-il, si vous estimez la parole d’un vieux soldat, il vous remercie pour ce beau jour ; jamais il n’a vu de plus glorieuse bataille. Gloire à Dieu ! la Finlande sait encore vaincre un ennemi, l’âme de nos pères survit dans la vôtre, et la patrie a des hommes pour la défendre ! »


LES DEUX DRAGONS.

« L’un se nommait Staël, et l’autre se nommait Lod. Ils étaient égaux en force et en courage. Le même village, sur les bords du Saïmen, les avait vus naître. Enfans de la même famille, ils avaient partagé sous le même toit querelles et jeux.

« Le même jour, tous deux étaient devenus dragons. Dans les mêmes combats, ils avaient partagé mêmes hasards. Camarades de guerre comme autrefois de plaisirs, ils se querellaient encore et luttaient à qui l’emporterait en valeur.

« Bientôt leur renommée dans l’escadron dépassa celle de tous les autres ; nul n’osait se dire plus brave. On les fit caporaux tous deux ensemble, mais cela ne termina pas la querelle.

« C’était toujours la même rivalité, puisqu’ils étaient encore égaux. Si l’un entreprenait quelque chose, l’autre avait la même pensée ; ils se rencontraient au but. Si Lod était à l’ordre du jour, Staël y était aussi.

« La fortune enfin fit son choix. Tandis que de toutes les affaires Lod sortait sain et sauf, Staël fut blessé. Il fallut restera l’hôpital, condamné au repos, à la tristesse et à l’ennui, tandis que Lod poursuivait ses exploits.

« Peu à peu les longs mois s’écoulèrent, et le brave revint au régiment ; mais il n’était plus en première ligne : il avait beaucoup d’égaux, et Lod avait gagné, la médaille !

« Staël fut témoin de son bonheur, il entendit sa renommée. Ce qu’il en ressentit dans son cœur, il sut l’y contenir ; pas un mot, pas un regard ne le trahit.

« Un beau jour, on les envoya tous les deux en éclaireurs. Ils revenaient, leur mission remplie, quand d’un nuage de poussière sortit tout à coup une troupe de Cosaques. « Volte-face, dit Lod, ils sont cinq, et nous ne sommes que deux. Frère, ce serait courir un danger inutile. »