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en bloc et sans réserve. Elle l’a placé parmi ces hommes d’état que les circonstances jettent dans un dilemme insoluble, et qui, ayant à concilier des devoirs absolument contradictoires, succombent à un labeur inévitablement stérile. Il voulait arrêter le parlement royaliste sur la pente des réactions ? il voulait maintenir intacts, contre les empiétemens des pouvoirs parlementaires, les privilèges du monarque. Il était détesté des puritains, qui lui attribuaient les persécutions religieuses, non moins détesté par les catholiques irlandais, qui lui redemandaient en vain leurs terres confisquées, odieux enfin aux cavaliers ruinés, qui prétendaient rentrer dans tous leurs biens et poussaient jusqu’à des conséquences impossibles le principe, en lui-même légitime, de l’indemnité qu’on leur avait accordée. D’autres griefs, bien autrement chimériques, pesaient sur Clarendon. On lui imputait, comme beau-père du duc d’York (et il l’était bien malgré lui), la stérilité de la reine. Le peuple, appauvri, le rendait responsable des misères engendrées par la guerre contre les Hollandais… Ce fut ainsi que tomba cet homme savant et grave, dont les principes bien arrêtés ne purent se faire accepter d’une cour dissolue. Pas plus qu’Ormond ou Southampton, tous deux ses amis, il ne put lutter avec succès contre la faveur capricieuse, l’avidité sans frein, l’immoralité affichée, bruyante, impérieuse et obéie.

Aux invectives de Rochester, — datées de 1667, nous avons pris soin de le dire, — il faut, pour être juste, opposer des vers qu’il écrivait douze ans plus tard contre Sunderland, Godolphin, etc., et où il se montre meilleur appréciateur des mérites de Clarendon. « Clarendon, y est-il dit, était un légiste plein de sens ; Clifford brillait par sa bravoure, — Bennet par sa gravité, et l’impudence non-pareille de Danby aidait à supporter ses fraudes ; mais Sunderland, Godolphin et Lory[1] seront, aux yeux de l’histoire, de méprisables avortons, etc. »

Nous avons vu ce qu’était, au fond, le royalisme de Rochester, et par quelles tendances quasi révolutionnaires on le trouvait çà et là mitigé ; mais si le poète semble quelquefois se mettre du côté du peuple contre le despotisme, il est toujours du côté du roi contre les représentans constitutionnels du peuple. La fiction parlementaire n’existe pas pour lui. Dégoûté par la paresse, l’indécision, la sensualité blasée et ruinée de Charles II, il l’est pour le moins autant par la vénalité perfide des pairs et des commoners. La résistance, toujours obséquieuse et timide, souvent déloyale, souvent hypocrite, qu’ils opposent aux continuels assauts d’une autorité jalouse et dangereuse,

  1. Lory, abréviation familière de Lawrence. Lawrence Hyde, fils de Clarendon (et qui, par parenthèse, devint plus tard comte de Rochester), se trouve ainsi désigné.