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— flagelle ensuite Flatman, « qui mène à bride abattue son Pégase éreinté ; » Lee, « qui transforme en héros de roman les grands types de l’histoire ; » Shadwell et sa précipitation étourdie, Wycherley et sa lenteur de tortue. Viennent ensuite Waller, Buckhurst, Sedley, objets de louanges tant soit peu perfides. Il est dit du second de ces poètes que ses chants sont « élégamment obscènes. » On vante chez le troisième l’art merveilleux avec lequel il sait « rendre irrésistibles les plus libres désirs aux cœurs les plus chastes. »

The loosest wishes to the chastest hearts.

Mais cet art, Dryden ne l’a jamais connu : vainement il essaie de faire vibrer ces cordes délicates. Lui, se poser en libertin victorieux ! — Et sur ce thème on devine où va s’emporter Rochester, à quelles images il va recourir, quelles audacieuses métaphores il se permettra sans hésiter vis-à-vis de ce poète, qu’il accuse de n’avoir ni feu communicatif, ni fantaisie vraiment lascive, et de n’offrir qu’un appât trompeur à l’ardente curiosité de ses belles lectrices. « Non, il n’a pas vainement reçu d’elles le surnom de poète-coussin[1]. Elles ont ainsi qualifié sa mollesse obtuse qui les irrite, sa pesanteur inerte, sa souplesse d’édredon, dignes d’un espion de harem. »

La part de la louange est très mince dans cette satire. Bien inspiré en ceci, Rochester exalte Shakspeare et Ben-Jonson. Il vante, en passant, l’originalité d’Etheredge, « qui veut être lui-même, » et vers la fin il dresse en deux vers la liste des gens d’esprit à qui seuls il reconnaît une certaine compétence littéraire :

Sedley, Shadwell, Shephard, Wycherley
Godolphin, Butler, Buckhurst, Buckingham.

On retrouve ici le pendant de la liste donnée par Horace, qui frappait ses vers immortels pour obtenir quelques suffrages d’élite, plaire à Pollion, à Virgile, à l’excellent Octave, aux frères Messala… et finalement à Furnius le Sincère.

Nous venons de voir comment Dryden était traité. À cette nouvelle attaque, il sent enfin l’aiguillon. De lointains souvenirs militaient en vain contre la rancune tant de fois excitée ; l’ire poétique s’allume en lui. Arrive que pourra, cette fois le gant sera relevé. Il terminait justement sa comédie de Tout pour l’Amour (All for Love). Dans la préface, il s’éleva hautement contre « ces gentilshommes de plume qui, pour quelques bribes de latin çà et là ramassées, se croient appelés à primer leurs égaux… Pourquoi n’administrent-ils pas paisiblement le domaine dont une bienfaisante Providence les a

  1. Poet squah. — On comprend, nous l’espérons, combien nous sommes forcé d’atténuer ici les vers dont nous voulons extraire la substance. Walter Scott, qui les cite textuellement, s’est vu réduit à en supprimer deux.