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(la Répétition), cette fameuse comédie que réécrivit, plus d’un siècle après, Richard Brinsley Sheridan, et qui perdit alors son caractère personnel, aristophanesque, pour devenir une aimable et charmante satire des travers littéraires en général. Les érudits seuls lisent the Rehearsal ; tout le monde connaît the Critic.

Dans la parodie primitive, c’est Dryden en première ligne, — sous le nom de Bayes, — mais ce sont, avec lui, bon nombre de poétereaux moins connus qu’on immole aux railleries du grand seigneur en gaieté. En thèse générale, c’est le drame héroïque, emphatique, boursouflé, plein de pompe et de vent ; ce sont les grands Alcandre, les Cyrus de la scène anglaise, — magnifiques seigneurs à longues tirades dont l’Almanzor de Dryden sera, si l’on veut, le prototype, — qui étaient voués au ridicule, et pour longtemps. Le Drawcansir de Buckingham est à ces Maures généreux, à ces paladins tranche-montagnes, ce que don Quichotte avait été aux Galaor, aux Palmerin, aux Belianis, et il est aussi populaire chez nos voisins d’outre-Manche que son illustre modèle chez nos voisins d’outre-Pyrénées. En homme bien avisé, prudent, ménager de sa position et de sa fortune, Dryden feignit de ne point ressentir trop vivement une attaque dont, au fond, il avait apprécié la portée. Il cacha ses blessures sous un sourire, avouant tout haut que ses adversaires avaient trouvé le défaut de la cuirasse, et ne leur en garda pas moins, sous ces froids dehors, une belle et bonne rancune que les années allaient envenimant. C’est à ce ressentiment longtemps couvé que l’on dut plus tard le chef-d’œuvre incontesté de la satire anglaise, le portrait de Zimri dans Absalon et Achitophel[1]. Zimri en effet, c’est Buckingham, mais non plus le favori du roi, l’homme en crédit, le grand seigneur riche et prodigue. Celui-là, Dryden l’eût respecté toujours. En revanche, vis-à-vis d’un ministre disgracié, d’un prodigue perdu de dettes, d’un meneur d’opposition, il avait ses coudées franches.

En ajournant sa vengeance, Dryden avait peut-être compté sur Rochester. Lui seul, écrivain privilégié, aurait pu, sans péril, tenir tête à Buckingham. Toutefois Rochester n’était point de ces dévoués naïfs qu’on voit accourir à la rescousse d’un ami dans l’embarras. Chez Dryden, ce qu’il avait aimé, servi, caressé, c’était après tout le succès, — une renommée faite dont il aidait sa renommée à faire, — l’autorité en matière de goût, dont il espérait prendre sa large part, associé à l’empire, héritier désigné ; mais défendre Dryden battu,

  1. Ce poème « étincelant de verve moqueuse et de beaux vers, » — ainsi en parle M. Villemain, — fut composé contre Shaftesbury, Buckingham et les autres partisans du duc de Monmouth, lorsque Charles II dut se résoudre à répondre, par l’exil de ce bâtard chéri, au bill d’exclusion porté contre le duc d’York.