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avoir de tolérable… Et ce que je ne saurais oublier, c’est que vous avez pris soin de ma fortune, en même temps que de ma réputation… »


Rien de plus explicite, de plus net, de plus humble. La sébile du mendiant tinte dans les mains émues du poète, tandis que, l’épaule basse, il se confond en remerciemens, et encore par pudeur supprimons-nous une page sur ce ton-là… par pudeur, non, — par déplaisance. Ces défaillances de la dignité littéraire ont pour nous une amertume toute spéciale ; mais tâchons de les oublier, et poursuivons notre récit, Il s’agit de montrer, sous le règne d’Astrée, en cette ère florissante qui devait, au dire des poètes, rappeler le siècle d’Auguste, ce qui advint au Virgile de l’époque.

La dédicace du Mariage à la Mode date, nous l’avons déjà vu, de l’année 1673. Elle fut sans doute libéralement rémunérée, car il existe une seconde lettre de Dryden à Rochester, — imprimée elle aussi, — où le poète avoue que « le trop généreux paiement d’une mauvaise dédicace lui fait regretter de l’avoir adressée à un patron si prodigue. » L’avenir lui gardait d’autres regrets, un peu plus sincères, un peu mieux fondés.

Dryden à l’apogée de sa réputation s’en était littéralement enivré. Ses plus illustres devanciers, Ben-Jonson, Beaumont et Fletcher, Shakspeare lui-même, il les déprisait en toute occasion[1] comme les interprètes souvent ignobles d’un âge barbare. — « Ils s’élevaient, disait-il, mais sans pouvoir maintenir leur essor. La renommée, de leur temps, ne coûtait guère. Elle appartenait au premier venu, après peu d’efforts, et si depuis ils l’ont conservée, c’est par le pur bénéfice du trépas. » Le moment devait venir où tant de suffisance, tant de mépris, tant d’injustice appelleraient un châtiment exemplaire. Ce moment arriva justement lorsque Dryden, nommé poète lauréat, se reconnut publiquement l’obligé de Rochester. Buckingham (Villiers) et Butler, l’auteur d’Hudibras, prirent à cœur ce triomphe insolent de deux rivaux et, mettant en commun leurs spirituelles rancunes, entreprirent de le leur faire expier. Il existait, Dieu sait où, un projet de parodie composé, dans les premières années de la restauration, contre William Davenant. Les deux complices imaginèrent de l’appliquer à Dryden. Deux autres poètes entrèrent dans la conspiration : Matthew Clifford, engagé déjà dans une polémique assez vive contre le poète lauréat, et Sprat, alors chapelain de Buckingham[2]. Ainsi fut composée, sous le titre de the Rehearsal

  1. Voyez l’Essai sur la Poésie dramatique. Voyez aussi, à une autre date, l’épilogue du drame intitulé the Conguest of Granada.
  2. Il fut plus tard évêque de Rochester. Son premier emploi avait dû être une étrange sinécure.