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gypsies, et principalement de la vie des femmes. La liberté d’habitudes et de langage des femmes gypsies n’est qu’une manière de faire des dupes, comme la bonne aventure et la science des lignes de la main. Beaucoup de gorgios s’y laissent prendre, et elles en reçoivent de jolis présens, des bagues, des châles, des mouchoirs. Si le gorgio attend quelque chose en retour de ses présens, il est payé en plaisanteries, s’il persiste, en injures, et s’il persiste encore, en coups de griffes et en morsures ; — Mais supposons, demande Lavengro, que ce gorgio fût quelqu’un d’aimable, un officier de la milice par exemple : lui refuseriez-vous même un baiser ? — Nous ne faisons pas de différence, frère ; les filles d’un père gypsy ne font pas de différence entre les gorgios, et, qui plus est, n’en voient aucune. — Lavengro demande ce qu’elle ferait cependant dans le cas où un gorgio se vanterait d’avoir reçu ses faveurs. — Je sifflerais, répond Ursule, et alors tous mes proches quitteraient leurs occupations et viendraient m’entourer. — Voilà un gorgio, dirais-je, qui se vante… — Oh ! oh ! Ursule, dirait un de mes parens, intente-lui une action devant la loi, et il me mettrait en secret quelque chose dans la main. Alors, m’avançant je demanderais au gorgio s’il persiste à dire que j’ai commis quelque chose de mal la nuit dernière, lorsque j’étais sortie avec lui. S’il persistait, alors je lui dirais : Vous êtes un menteur, et je lui casserais la tête avec le bâton que je tiendrais caché dans ma main. — Du reste, ce n’est pas seulement avec les giorgios que les gypsies appliquent cette méthode de justice ; ils l’appliquent aussi entre eux lorsqu’une femme a été calomniée par un des leurs. Quant à l’amour qu’une femme gypsy pourrait ressentir pour un gorgio, il est sévèrement condamné ; et autrefois il était sévèrement puni. Ursule savait une chanson que chantaient souvent les filles gypsies pour s’avertir d’avoir aussi peu de relations que possible avec les gorgios ; cette chanson racontait l’histoire d’une gypsy qui, s’étant laissé séduire, avait été chassée par sa mère et plus tard enterrée vivante dans un lieu désert. Enfin M. George Borrow attribue à la fidélité des femmes la persistance des mœurs, des habitudes gypsies. C’est elles qui sont le lien de ces communautés errantes. « Tant que nos femmes nous resteront attachées, dit M. Petulengro, notre communauté pourra subsister ; mais les meilleures choses ne durent pas en ce monde. Les filles de la Romanie sont encore les filles de la Romanie, cependant elles ne sont pas tout à fait ce qu’elles étaient il y a soixante ans. Ma femme, quoiqu’elle soit bonne gypsy, ne vaut pas mistress Herne. Je crois qu’elle aime trop les Français et le langage français. Je vous le dis, frère, si jamais la communauté gypsy vient à se rompre, c’est parce que nos filles auront été mordues de ce chien enragé qu’on appelle le comme il faut. »