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quelles qu’elles soient, poétiques ou grossières, basses ou brillantes, sont la règle de son esprit. Incompréhensible, il ne l’est pas ; mais inconvertissable, il l’est, et de manière à lasser la patience de toutes les théocraties de la terre. S’il est vrai que les gypsies aient une origine hindoue, il est permis d’imaginer qu’ils appartiennent à une caste déchue, chassée pour ses incorrigibles habitudes et son esprit rebelle à toute autre idée de règle morale que l’obéissance aux mouvemens de la nature.

Sont-ils cependant dépourvus de toute qualité ? Non, ils ont à un assez haut degré l’amour de la famille et à un degré excessif l’amour de la tribu. Les femmes surtout présentent un singulier mélange de vices et de qualités opposés. Que faut-il penser de leur vertu ? Il y a à ce sujet un dissentiment assez marqué entre deux esprits de même famille, quoique de tendances très différentes, c’est-à-dire M. Borrow lui-même et M. Mérimée. M. Borrow, qui a longtemps vécu dans leur compagnie, s’est constitué leur paladin, et cite des bohémiennes qui ont refusé d’accepter, en échange de leur honneur, des sommes considérables et des positions brillantes. M. Mérimée croit que la candeur de M. Borrow a été surprise, et que si elles ont refusé, c’est qu’elles ont pensé qu’on voulait se moquer d’elles. Des offres plus modestes, pense-t-il, auraient mieux réussi. Cependant cette vertu des bohémiennes se comprend sans trop d’efforts, car elle est soutenue par la haine de leur race contre le chrétien et l’Européen, le gorgio, comme ils l’appellent dans leur langage. Sont-elles fidèles aux époux et aux amans de leur race ? Ce qui est certain, c’est qu’elles ne sont jamais surveillées, et que les hommes se confient absolument à elles. En réalité, nous croyons qu’on peut dire que leurs vertus ne méritent pas ce nom. Si elles sont vertueuses, elles le sont sans être chastes ; elles aiment les propos relâchés, et se complaisent dans toute sorte de manœuvres libertines. Elles aiment à éveiller l’imagination du gorgio par leurs coquetteries et la liberté de leurs allures, quitte à l’arrêter avec un poignard, s’il se croit encouragé par leur tactique et leur langage. Enfin, si elles sont vertueuses pour leur propre compte, elles ne répugnent pas à encourager le vice ; au contraire, elles ont un goût et un talent particulier pour servir les intrigues immorales et les passions coupables. Elles sont menteuses, voleuses et coquettes ; mais laissons cette vertu s’expliquer elle-même.

Il y avait dans le campement des bohémiens une belle jeune femme, du nom d’Ursule, pour laquelle Lavengro semble avoir eu un commencement d’inclination. — Consultez Ursule, avait dit M. Petulengro. Ce soir, après souper, emmenez-la derrière une haie, et là elle vous apprendra relativement à nos mœurs quelques-unes des choses que vous ignorez. — Avertie par M. Petulengro, Ursule s’assied,