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Le dimanche suivant en effet, le clergyman prêcha, non sur le mensonge, mais sur le peu de profit que certaines personnes retirent de leurs vices. « Il y a des gens qui perdent leur âme sans aucune compensation, » dit-il. Ainsi parlant, il tournait les yeux du côté des gypsies, qui écoutaient sans sourciller cette leçon de morale qui tombait d’aplomb sur eux. Ici se pose une question intéressante : est-il possible de donner aux gypsies des sentimens religieux et chrétiens ? est-il possible de leur donner seulement des sentimens moraux fixes et inaltérables ? Nous laisserons M. Borrovv, qui a passé sa vie à les catéchiser, répondre à cette question. Il l’a fait dans une remarquable conversation où la nature propre au gypsy se laisse apercevoir à nu. Les choses ne laissent pas leur empreinte dans l’âme du gypsy, qui est essentiellement mobile et fluide comme l’eau. Comme l’eau, elle reproduit indifféremment toutes les images qui se présentent. Le gypsy croit à tout et ne croit à rien, ou plutôt il ne croit qu’à la sensation présente ; la sensation passée est déjà pour lui une fable. Il est donc sceptique, non-seulement à l’endroit des notions morales et sociales, mais à l’endroit de ses propres impressions. Il s’abandonne et se confie au hasard des émotions fugitives, comme dans la vie il s’abandonne à tous les hasards du vagabondage. Une impression est chassée par une autre sans laisser plus de trace dans sa mémoire qu’un plaisir physique qu’on se rappelle avoir goûté, mais dont on ne peut retrouver la jouissance par le souvenir. La pure animalité domine chez lui, et il n’y a de moral dans sa nature que cet imperceptible atome d’âme qui, comme une étincelle cachée, circule dans nos émotions même les plus sensuelles et leur communique je ne sais quoi de brillant, d’aimable ou d’élevé.


« Il est très éloquent, le prédicateur que nous venons d’entendre, dis-je à M. Petulengro, comme nous venions de franchir la barrière et d’entrer dans la campagne.

« — Très éloquent, frère, dit M. Petulengro ; il est très renommé dans les pays d’alentour pour ses sermons, et il y a des gens qui disent qu’il n’a pas son pareil dans toute l’Angleterre

« — Vous semblez très informé de tout ce qui le concerne, Gaspard. L’aviez-vous entendu prêcher auparavant ?

« — Jamais, frère ; mais il est souvent venu à notre tente, et ses filles aussi, et il nous a donné des traités, car il fait partie de ces gens qui s’appellent évangéliques et qui donnent aux gens des traités qu’ils ne peuvent pas lire.

« — Vous devriez apprendre à lire, Gaspard.

« — Nous n’avons pas le temps, frère.

« — N’êtes-vous pas souvent sans rien faire ?

« — Jamais, frère ; lorsque nous ne sommes pas occupés à notre commerce, nous sommes occupés à prendre nos récréations ; par conséquent nous n’avons pas le temps d’apprendre à lire.