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propre — et qu’il n’y reste pas de poison, — pas un atome de poison.

« Et puis nous faisons bien rôtir le cochon, — et nous envoyons chercher de l’ale au cabaret, — et nous faisons un joyeux banquet romain.

« Le garçon joue du violon, il joue ; — la petite fille chante, elle chante un ancien refrain de Romanie. — Écoutez le refrain de Romanie. »


Les gypsies sont un sujet inépuisable pour M. Borrow. Il ne tarit pas en détails curieux et en remarques ingénieuses ; ainsi il fait observer l’incohérence singulière qui règne dans le choix de leurs noms. Les gypsies n’ont pas, comme les autres peuples, de noms qui appartiennent en propre à leur race : ils semblent les avoir ramassés à travers tous les pays et tous les siècles ; c’est une complète Babel de noms propres. Parmi les gypsies d’Angleterre, on en trouve qui portent des noms slaves ou italiens, et les zingari d’Espagne se parent souvent de noms septentrionaux. Ainsi mistress Chikno se nommait Mikaïlia, et mistress Petulengro Pakomovna. Le choix des noms propres semble aussi déterminé très souvent par la fantaisie et le caprice. On nommera une fille Leviathan, d’après le nom d’un vaisseau, ou un garçon Pyrame, d’après le nom de quelque chien ou de quelque cheval en renom. Beaucoup des noms singuliers dont l’origine tourmente tant M. Borrow doivent avoir été empruntés à l’écurie ou au chenil. Enfin, particularité remarquable, ils affectionnent pour les femmes surtout les noms poétiques et romanesques. Il semble qu’ils aient fouillé toute la collection des poèmes chevaleresques et des romans pastoraux : Ursule, Morella, Ercilla, Clémentine, Lavinie, Camille, Lydie, Curlanda, Orlanda, Meridiana. « D’où diable avez-vous tiré ces noms-là, Gaspard ? demande Lavengro. — D’où ma femme a-t-elle tiré son collier, frère ? — Elle le sait sans doute. — Elle le sait ? En vérité non. Elle le tient de sa grand’mère, qui mourut à l’âge de cent trois ans, qui le tenait de sa mère, laquelle ne pouvait donner d’autres renseignemens, sinon qu’il était dans la famille depuis un temps immémorial… Vous semblez embarrassé, frère. — Je sais réellement bien peu de choses sur votre race, Gaspard. — Bien peu, cela est vrai, mon frère. Nous savons peu de choses sur nous-mêmes, et vous ne savez rien que ce que nous vous avons appris ; et nous vous avons dit de temps à autre des choses qui ne sont pas exactement vraies, simplement pour nous moquer de vous, frère. Vous me direz que c’était mal. Peut-être aurez-vous raison. Dans deux ou trois jours, ce sera dimanche ; nous irons à l’église, et peut-être entendrons-nous un sermon sur les habitudes désastreuses du mensonge. » Allez donc bâtir un système historique sur des renseignemens qui vous seront fournis par cette race d’espiègles immoraux, dont le mensonge est à la fois le gagne-pain et la récréation, et qui dans toutes leurs paroles continuent leur métier de diseurs de bonne aventure !