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plusieurs orateurs étaient entendus. Les principaux étaient MM. Henschen, Schwan, Biork, Lallerstedt ; ce dernier, comme on sait, est l’auteur d’un livre qui a été publié pendant la dernière guerre, la Scandinavie, ses craintes et ses espérances. M. Lallerstedt surtout parvenait à entraîner une bonne partie de la chambre à déclarer immédiatement qu’elle voterait pour le projet « avec l’espoir de le rendre plus libéral. » C’est le mérite de la chambre des bourgeois de se mettre à la tête du pays pour cette question comme pour beaucoup d’autres. Maintenant le projet triomphera-t-il définitivement de toutes les répugnances de l’esprit de secte et de toutes les difficultés suscitées par un fanatisme étroit ? Il est impossible assurément que la Suède reste dans une immobilité intolérante au milieu d’un mouvement contraire universel, lorsque les pénalités s’adoucissent ou disparaissent, et que partout la liberté religieuse fait d’incessans progrès. L’église nationale serait fort menacée, si elle était réduite à se défendre uniquement par des rigueurs dont l’efficacité diminue de jour en jour, et qui finiront par devenir complètement impuissantes. Les Suédois pourraient d’ailleurs invoquer d’autres traditions, ils n’auraient qu’à se souvenir de Gustave-Adolphe, qui, tout pieux qu’il fût, combattit pour la liberté religieuse. Les membres de la diète seront-ils sensibles à ces souvenirs ? L’opposition persistante de l’ordre du clergé n’est guère douteuse, malgré la présence dans la chambre ecclésiastique de quelques hommes qui, tels que MM. Nordstrom, Carlsson, professent des idées un peu plus libérales. La question est toujours de savoir si la noblesse et les paysans se laisseront dominer par un esprit étroit d’hostilité contre la liberté religieuse.

Malheureusement il y a aujourd’hui une circonstance qui n’est pas propre à favoriser le succès du projet du gouvernement, c’est la maladie du roi. Le roi Oscar a été obligé de quitter Stockholm au moment où sa présence eût été singulièrement nécessaire. Seul peut-être il aurait pu avoir assez d’influence sur la diète pour la déterminer à voter le projet qui a été présenté. Si du reste la proposition royale, telle qu’elle a été formulée, devait être modifiée et amendée dans un sens restrictif, il vaudrait encore mieux en définitive qu’elle fût tout à fait repoussée, car la question resterait entière ; elle se reproduirait inévitablement, et elle serait sans nul doute plus libéralement résolue, tandis que si une trop faible part était faite aujourd’hui à la liberté religieuse, les partisans du système actuel ne manqueraient pas de se servir de cette concession pour repousser toute proposition nouvelle. Ce qu’il y a de plus singulier en tout cela, c’est la situation du roi, qui se trouve placé dans de telles conditions, qu’il doit tout à la fois défendre le principe de la liberté religieuse en Norvège et maintenir l’intolérance comme une doctrine d’état en Suède. C’est une anomalie étrange sans doute, mais elle existe. Le devoir du souverain veut qu’il fasse vivre deux principes opposés. L’avènement d’un régime religieux plus libéral ne serait pas seulement un bienfait pour la Suède : il ferait cesser une bizarrerie, et il mettrait un accord de plus entre les deux royaumes ; il créerait même une analogie morale de plus avec le Danemark. Des trois états Scandinaves, la Suède en effet est le seul où ait survécu jusqu’ici une législation rigoureuse.