Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/954

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qu’on remarque bien que ce n’est point ici l’acte individuel et isolé d’une ou de plusieurs puissances agissant séparément ; c’est une résolution collective adoptée en commun par tous les gouvernemens, en y comprenant la Porte elle-même. Le caïmacan de Moldavie va-t-il du moins respecter ces instructions nouvelles qui lui sont communiquées ? Nullement, il marche plus audacieusement que jamais à son but, et dans cette voie il est soutenu par de singuliers encouragemens, comme on a pu le voir par la publication récente de pièces fort curieuses. Les uns lui disent qu’il n’a point à s’occuper de la moralité de ses agens, pourvu qu’ils soient hostiles à l’union. M. de Prokesch lui écrit de Constantinople qu’il doit comprendre la position délicate de la Turquie vis-à-vis de la France, et que c’est à lui de suppléer par sa sagacité à ce que la Porte ne peut lui dire. Par le fait, M. de Prokesch soutenait positivement que les résolutions du 30 mai n’avaient rien d’obligatoire. Le consul d’Autriche à Jassy, de son côté, se multiplie pour diriger tout ce mouvement, et parmi les documens publiés il est à regretter qu’on n’ait pas mis des listes électorales corrigées de la main même du consul autrichien ; ce sont des pièces qui existent pourtant. Enfin, pour compléter cet étrange système, M. Vogoridès, sans attendre les décisions de la commission européenne de Bucharest, se prépare à ouvrir le scrutin en Moldavie. On arrive donc ainsi à la veille des élections. Traité de Paris qui stipule la liberté dans l’expression de l’opinion publique, firman électoral, résolution de la conférence du 30 mai, rien n’est respecté. En présence de ces faits, la France et les autres puissances qui partageaient son opinion avaient une conduite bien simple à tenir. Elles ne pouvaient qu’intervenir de nouveau auprès de la Porte, en lui opposant tous ces engagemens violés, et en lui demandant un ajournement des opérations du scrutin en Moldavie, afin que les listes électorales pussent être révisées et rectifiées. La proposition des quatre puissances était aussi simple que juste ; elle ne compromettait rien, elle était tellement plausible, que la Porte elle-même ne croyait pas pouvoir la repousser. Le 8 juillet en effet, une résolution, approuvée par le sultan, adoptée unanimement par le conseil des ministres de Constantinople, ajournait les élections moldaves, et cette transaction, communiquée par voie télégraphique au gouvernement français, était aussitôt sanctionnée par lui, à la condition que le délai accordé fût loyalement employé à la révision des listes électorales. Mais qu’arrivait-il alors ? Lord Stratford de Redcliffe et M. de Prokesch intervenaient à leur tour et employaient tous les moyens, toute leur influence pour amener le cabinet turc à se désister de la décision du 8 juillet ; ils allaient bien plus loin, ils prétendaient interpréter à leur manière les instructions du gouvernement français, et ils finissaient par assumer aux yeux du gouvernement ottoman la responsabilité de tout ce qui surviendrait, c’est-à-dire qu’en ce moment lord Stratford de Redcliffe et M. de Prokesch constituaient réellement la seule autorité ; le gouvernement turc disparaissait, livrant ses résolutions à des conseils étrangers, abdiquant son initiative. Voilà le degré d’abaissement et de faiblesse où Rechid-Pacha a réduit le pouvoir du sultan ! Au dernier moment, il n’a trouvé rien de mieux que de s’abriter derrière la responsabilité de deux ministres étrangers, et c’est tout au plus s’il a pu empêcher lord Stratford et M. de Prokesch de pénétrer de vive force jusque dans le conseil