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qu’à ouvrir les yeux pour reconnaître l’extension acquise au commerce anglais sous le régime de la liberté et en vertu de ce principe, l’affermissement de l’ordre public, ainsi que la grande amélioration qui s’en est suivie dans l’existence des populations. L’opinion de M. Gladstone a eu l’assentiment unanime en Angleterre, et il y a peu de temps que le premier ministre s’en est fait l’écho dans le parlement.

Pendant ce temps, les journaux prohibitionistes s’efforcent de raviver les haines nationales, et vont, conservateurs d’une nouvelle espèce, puiser leurs inspirations dans les rapports de Barrère de Vieusac et dans les déclamations de 1793 contre Pitt et Cobourg. Quelques-uns de nos manufacturiers, ceux-là même qui patronnent cette singulière littérature, ne se contentent pas d’expédier des masses de leurs productions en Angleterre et de s’enrichir ainsi par la prohibition de ce côté-ci du détroit, par la liberté du commerce sur le rivage opposé. Ils se font une arme du mémoire adressé à lord Clarendon par la chambre du commerce de Manchester en 1856 ; ils le dénoncent comme une menée souterraine, comme un complot contre l’industrie française. On dirait que jamais ils n’ont demandé eux-mêmes au gouvernement français de prêcher à l’étranger l’abaissement des tarifs. Le mémoire de Manchester n’avait rien que de parfaitement légitime ; l’adoption graduelle, autant qu’on le voudra, d’un système libéral pour les échanges internationaux, est de l’intérêt du monde civilisé, et si un peuple a le droit d’en parler, c’est celui qui a donné l’exemple de cette politique nouvelle. Cependant le mémoire même de Manchester n’est pas aujourd’hui l’expression de la politique anglaise ; c’est à la lettre de M. Gladstone qu’il faut reconnaître ce caractère.

L’Angleterre se tient ainsi dans cette attitude pleine de dignité et de force où elle donne à l’industrie agricole et manufacturière du monde entier, ainsi qu’aux navires de tous les peuples, sans exception et sans condition, l’avantage de son propre marché et de celui de ses vastes colonies. Elle laisse à chacun le soin de se convertir lui-même et de se rendre à l’évidence, à chacun des gouvernement la responsabilité de perpétuer chez soi le système restrictif avec tout ce qu’il a de contraire au développement de la richesse publique et à la progression du bien-être des populations, et par cela même avec son influence négative sur les causes profondes de l’ordre public.

Je ne sache pas dans toute l’histoire contemporaine de spectacle sur lequel l’œil se repose avec plus de satisfaction que celui de l’entreprise de la réforme commerciale en Angleterre, surtout depuis l’origine de la ligue jusques et y compris le budget de M. Gladstone en 1853. L’Angleterre s’y montre comme une grande nation possédant