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comté qui ne sont pas constituées en bourgs électoraux à voter avec les propriétaires et les grands fermiers, empêcherait ceux-ci de garder leur part de pouvoir, et les disperserait au milieu d’une population le plus souvent étrangère à leurs intérêts, à leurs vues, à leurs habitudes. Sans doute la même exclusion tourne au détriment des petits fermiers et des cultivateurs des campagnes ; mais quels titres la loi pouvait-elle reconnaître soit aux petits fermiers, auxquels manque toute indépendance de position, soit aux cultivateurs des campagnes, qui n’ont jamais fait encore, même par l’exercice des droits municipaux, aucun apprentissage de l’éducation politique ? De tels électeurs n’auraient été que des soldats dociles aux ordres de leurs chefs. D’ailleurs la loi ne rend pas le droit de suffrage inaccessible, et en l’attribuant, sinon en Écosse, au moins en Angleterre, à la propriété d’un bien de franche-tenure produisant seulement un revenu de 40 shillings (50 fr.), ne le met-elle pas à la portée d’un grand nombre ? Ce serait une erreur de croire que la concentration de la terre ne laisse pas la liberté d’acquérir de petites propriétés, et il n’est pas inutile de rappeler que le nombre des propriétaires est évalué en Angleterre à 350,000. Aussi n’est-il pas rare de voir l’homme qui a consacré sa vie à un travail manuel finir par acheter un petit bien auquel le droit de suffrage est attaché, et lord John Russell, encourageant cet emploi des économies ouvrières, avait soin de dire que personne, dans la chambre des communes, ne pouvait refuser son estime à ces nouveau-venus qui avaient fait la laborieuse et pacifique conquête de leurs titres de citoyen. Dans le vieux palais de Westminster, on les nomme avec honneur des nouveau-venus ; chez d’autres peuples, n’auraient-ils pas été appelés avec mépris des parvenus ? Ainsi le corps électoral des comtés n’est pas condamné à vivre sur lui-même, et peut toujours se recruter ; il se compose en moyenne, dans chacun des comtés ou des subdivisions de comtés d’Angleterre, de 5 ou 6,000 électeurs[1], et ces 5 ou 6,000 électeurs sont une assemblée d’élite qui représente les véritables forces du pays.

C’est dans les mêmes vues que la loi a réglé l’extension du droit de suffrage aux nouveaux électeurs des bourgs. Dans les comtés, elle avait trouvé son point d’appui dans la propriété foncière ; dans les bourgs, elle le chercha dans la propriété bâtie, d’après un système d’uniformité qui a également prévalu dans les trois royaumes. Elle y a conféré le pouvoir électoral à tout habitant qui occupe, comme propriétaire ou locataire, une maison ou une partie de maison d’un revenu annuel de 10 livres sterling (250 fr.), et qui semble

  1. En Écosse, la moyenne est de 5 à 6,000, mais la même proportion est toujours gardée par rapport au nombre des habitans.