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Elle chanta longtemps, et sa voix frémissante
Longtemps monta dans l’air sur l’aile du refrain ;
Puis elle s’arrêta, troublée et pâlissante,
Et retomba sans force auprès du clavecin.

La nuit venait, au loin murmurait la rivière ;
Les étoiles au ciel montraient leurs bleus regards ;
De légères vapeurs flottaient sur le parterre,
Les rainettes jasaient parmi les nénuphars…

Une larme brilla dans les yeux bruns d’Aimée,
Le piano se tut, et moi, d’un air songeur,
Le cœur tout oppressé, l’âme toute charmée,
Je contemplai son front et son regard en fleur.

Ce regard, rencontrant le mien, semblait lui dire :
— Ma vie, ô pauvre ami, ressemble à ce refrain.
Bien des pleurs sont cachés sous mon pâle sourire,
Maints sanglots étouffés s’agitent dans mon sein.

Pendant longtemps encor je restai sous le charme,
La salle où nous étions s’emplit d’obscurité ;
Je ne vis plus bientôt que la petite larme
Qui luisait dans la nuit comme un point argenté.


III – SOUS LES CHATAIGNIERS


Sous les châtaigniers, le long de la haie,
Un soir nous suivions un étroit chemin ;
La brise d’été dans le bois voisin
Faisait soupirer l’ombreuse futaie ;
Soudain sur mon bras elle mit sa main…

Elle était perdue en sa rêverie ;
Comme elle pensif, moi, je contemplais
Ses yeux, sombres fleurs humides, ses traits,
Ses beaux traits remplis de mélancolie,
Et le cœur troublé, tout bas je songeais :

 — Dieu ! si je croyais qu’elle dût m’entendre
Sans haine ou mépris parler jusqu’au bout ;
Si ce que je sens, je pouvais le rendre,
Et si je savais me faire comprendre
Rien qu’à demi-mot ; si j’osais surtout…

Oh ! je lui dirais : « Vivre solitaire,
C’est, n’en doutez pas, la pire douleur ;
Il n’est point d’ennui, de triste misère,