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déshonorés, les principes de la révolution française ne faisaient plus horreur à ces vives intelligences. L’égalité civile et politique, la destruction des monopoles et des privilèges de naissance, la compétition de tous pour les fonctions publiques, le libre examen des actes du pouvoir n’avaient rien qui les effrayât. Une fois convaincus, ils se montrèrent fidèles à leurs principes. Avec cette ardeur et cette facilité de sacrifice qui sont propres à la jeunesse, ils se rangèrent bravement autour d’Erskine, et acceptèrent l’existence pénible à laquelle les vouaient leurs opinions. Quelques-uns, John Luydes, Allen, Richardson, puis Brougham lui-même, allèrent à Londres chercher un champ plus vaste et une atmosphère plus libre : les autres tinrent bon et ne quittèrent pas le champ de bataille où la destinée les avait placés.

Ils étaient quinze ou vingt en tout, quoiqu’il leur fût venu les recrues les plus inattendues ; mais il se trouva qu’à l’exception de Walter Scott, tory de naissance et jacobite par imagination, ce petit noyau de jeunes gens contenait tous les esprits éminens dont l’Ecosse pourrait s’enorgueillir de notre temps.


« A la tête de la jeunesse whig se trouvaient, entr’autres gens de mérite, George Cranstoun, ferme dans ses principes, mais trop indolent quand il fallait agir ; John Archibald Murray, élevé dans la serre chaude du torysme, mais transplanté, grâce à son énergie propre et à l’influence de son grand ami Francis Horner, dans le sol plus généreux où il s’est développé ; Thomas Thomson, un noble cœur et un érudit d’une science redoutable ; George Joseph Bell, le plus grand de nos jurisconsultes ; John Macfarlane, un apôtre digne des plus beaux âges apostoliques ; James Moncreif ; égal même à son père en dévouement au bien ; James Grahame, qui joignait aux talens du poète la simplicité et l’aimable piété d’un enfant, à qui sa sensibilité nerveuse faisait appréhender la moindre souffrance, et qui était prêt à se jeter dans les flammes, si ses principes l’exigeaient. Macfarlane et Moncreif en eussent fait autant. Ces trois derniers auraient fait les trois meilleurs martyrs que je puisse imaginer. Moncreif serait allé à l’échafaud en réfutant les erreurs de ses persécuteurs ; Macfarlane aurait souri intérieurement de l’absurdité d’un supplice comme moyen de conviction ; Grahame, pénétré d’indignation, aurait flétri à voix haute l’infamie du tyran. Par-dessus tous et avant tous était Jeffrey, la plus brillante étoile du parti. »


Dans cette énumération, Cockburn s’oublie lui-même. Il occupait pourtant, au milieu de ses amis, une place considérable et bien méritée. Neveu de l’homme qui gouvernait en réalité l’Ecosse, attaché par les liens du sang à toutes les familles influentes du parti tory, il avait renoncé volontairement à la brillante perspective qui s’ouvrait devant lui pour se ranger du côté des whigs. Ses parens, ne voyant là qu’une effervescence de jeunesse, l’avaient fait nommer, à son