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verdict qu’il avait à rendre. Être accusé, c’était être condamné.

En 1794, un nommé Gerald avait provoqué à Glasgow des réunions d’ouvriers et prononcé quelques harangues un peu vives ; il fut traduit aux assises comme coupable de haute trahison, condamné à mort et exécuté. Un peu après, deux Anglais, Muir et Palmer, vinrent en Écosse pour tenir des réunions en faveur de la réforme : ils furent arrêtés et amenés devant le jury. On ne savait quel délit leur imputer ; on les accusa de sédition, et le jury, à la suite d’une violente sortie du juge, les déclara coupables. La loi écossaise cependant n’avait pas prévu le délit de sédition, et ne mentionnait aucune pénalité qui fût applicable aux condamnés. Le juge se tira d’affaire en invoquant la loi romaine, qui, disait-il, était la loi du pays dans le silence de la loi écrite. Comme Paulus mentionne trois pénalités pour les séditieux, — être mis en croix, être livré aux bêtes, ou être déporté dans une île, — lord Swinton choisit miséricordieusement la pénalité la plus douce, et condamna Muir et Palmer à la transportation. Voilà donc deux hommes flétris d’une peine afflictive et infamante, voués à l’exil pour avoir voulu user d’un droit que personne n’aurait osé leur contester en Angleterre, pour avoir fait ce que faisaient tous les jours à Londres les chefs mêmes du gouvernement ! Fox porta la question devant la chambre des communes, et fit de la condamnation de Muir et de Palmer le thème d’un de ses plus éloquens discours ; mais la magistrature écossaise, sans tenir compte de protestations impuissantes, continua à sévir sans pitié contre tous ceux qui osaient émettre publiquement des opinions libérales. L’âme de cette persécution était lord Swinton, plus connu sous son premier nom de Braxfield. Profondément versé dans la science du droit, il a laissé la réputation d’un grand jurisconsulte ; c’était une intelligence puissante, pleine de force et de pénétration, mais un caractère passionné, que l’esprit de parti aveuglait, et qui ne faisait servir sa connaissance des lois qu’à satisfaire ses haines. Il eût voulu faire pendre ou bannir du pays tous les whigs. « Amenez seulement ces drôles à ma barre, disait-il au lord-avocat ; je trouverai toujours bien un texte de loi à leur appliquer. » Gerald, pour se justifier et prouver qu’on pouvait souhaiter des réformes dans la législation de son pays sans être un criminel ni un traître, invoquait l’exemple de Jésus-Christ, qui, dans son temps, avait été un réformateur. « Ça lui a bien réussi ! se prit à murmurer Braxfield ; il a été pendu pour cela. »

L’emprisonnement et la transportation faisaient donc justice des whigs qui se laissaient aller à quelque imprudence de langage et de conduite. Une intimidation perpétuelle pesait sur tous les autres : ils étaient tenus en suspicion, ils étaient l’objet d’une surveillance