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était entourée. C’est, autant qu’il m’en souvient, la dernière personne qui ait conservé à Edimbourg une chaise à porteurs à elle. Cette chaise était toujours dans l’antichambre, aussi somptueuse et aussi corn for table que la pouvaient rendre la soie, l’or et le velours ; et quand lady Don sortait, deux respectables porteurs, couverts de manteaux à sa livrée, excitaient l’envie de tous leurs confrères. Mistress Rochead et elle allaient à Tron-Church, et je n’étais pas un des moins empressés du groupe qui se formait toujours pour voir ces deux belles reliques du passé sortir, l’une de son carrosse, et l’autre de sa chaise. »


Lord Cockburn s’est complu à tracer le portrait d’un certain nombre de ces matrones qui faisaient l’ornement de la société écossaise aux jours de sa jeunesse, c’est-à-dire de 1790 à 1810. En quelques coups de crayon, il nous peint lady Hunter Blair, modèle d’élégance et d’urbanité, mistress Murray avec sa froideur de statue, et lady Arniston, digne héritière des nobles dames du moyen âge, qui régnaient dans leurs châteaux et savaient y soutenir un siège, enfin la mère des Dundas, clouée par l’âge dans son fauteuil, et se faisant lire les journaux de Londres par ses petites-filles. La lectrice tombe sur un article où l’on rapporte que la réputation d’une dame est compromise par une parole indiscrète du prince de Galles : mistress Dundas se lève impétueusement malgré ses quatre-vingts ans, et, brandissant avec indignation son bras maigri, s’écrie d’une voix courroucée : « Le malotru ! est-il possible qu’il embrasse une dame et qu’il s’en vante ! » En regard de ces douairières vénérables, élevées dans les traditions d’un puritanisme sévère et frémissant à la moindre violation des lois de l’étiquette, Cockburn esquisse quelques femmes qui, protégées par leur naissance aristocratique, bravaient impunément les préjuges de la mode et du bon ton. C’est miss Menie Trotter, l’héritière de Mortonhall ; c’est surtout Sophie Johnston, à qui son père, par système, n’avait voulu donner aucune espèce d’éducation, qui s’était formée elle-même à la campagne, avait appris les métiers de charpentier et de serrurier, et savait au besoin ferrer un cheval. L’auteur nous la montre paisiblement assise dans les salons de la noblesse et à la table des premières familles, dans son costume emprunté aux deux sexes, avec un chapeau d’homme, une sorte de pardessus boutonné de haut en bas, et de monstrueux souliers fermés par des agrafes de cuivre, disant son fait à chacun avec une vive et rude causticité, aimée et respectée de tous pour son bon sens et ses vertus. Les visiteurs affluent chez elle ; ils frappent en vain à la porte : la servante, par ordre de sa maîtresse, a emporté la clef ; mais Sophie a un judas dans sa porte. Quand les gens lui conviennent, elle entame la conversation par ce judas, et quand elle est lasse de causer, elle le ferme sans cérémonie. Ces