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que l’Arétin dans ses fameux dialogues. Sur les miennes, vous ne trouverez jamais que suffocations, pléthores locales, frémissemens nerveux, inquiétudes nocturnes et autres accidens étranges, lesquels fréquemment trompent les jeunes femmes, en leur faisant croire que leur cœur est en grand péril, alors que, Dieu merci, le mal n’a aucun rapport avec cet organe. »

Une fois sur cette voie, le hardi médecin ne s’arrête pas ; mais il devient trop rabelaisien pour que nous consentions à lui servir d’écho : nous dirons (c’est bien assez) avec Hamilton que la vertu de ses remèdes « consistait principalement à soulager en peu de temps les jeunes filles de tous les maux et de tous les accidens où elles pourraient être tombées, soit par trop de charité pour le prochain, soit par trop de complaisance pour elles-mêmes. »

Les préjugés du temps et la faiblesse éternelle de l’esprit humain permettaient au prétendu Bendo de se donner pour astrologue, pouvant également lire dans le passé, deviner le présent, prédire l’avenir. Il ne manqua pas de s’en prévaloir. On le vit moins souvent, sa réputation une fois faite, pérorer en plein vent et endoctriner le menu peuple. Ses prospectus annoncèrent qu’on pouvait l’aller trouver « de trois heures de l’après-midi à huit heures du soir, chaque jour, dans son logement de Tower-Street, la porte après l’enseigne du Cygne-Noir, indiquant une boutique d’orfèvre. » Il y conviait spécialement les dames et demoiselles, ayant soin de les prévenir qu’elles auraient affaire à « un docteur âgé de vingt-neuf ans » et promettant de leur faire savoir, « dès la première entrevue, s’il est ou non en état de les guérir. » Il n’en faudrait pas tant, de nos jours, pour mettre en garde contre une mauvaise plaisanterie, très ouvertement annoncée. Jadis apparemment les sous-entendus s’adressaient à un public moins perspicace. Le fait est qu’à ces rendez-vous du médecin allemand, quelques bourgeoises du voisinage vinrent d’abord en tapinois ; puis, la curiosité gagnant de proche en proche, des soubrettes envoyées en avant-garde par des femmes de qualité ; puis enfin, — le sorcier se montrant d’autant mieux renseigné qu’il s’agissait de personnes plus notables, — plusieurs dames de la cour que l’astrologue mystérieux émerveilla de ses révélations audacieuses, puisées ou dans les indiscrétions de ses amis, ou dans ses propres souvenirs[1]. La curiosité, la peur, l’engouement,

  1. Il avait de plus recours à l’espionnage. Burnet raconte, dans sa Vie de Rochester, qu’ayant trouvé un valet au fait de tous les visages de la cour, il lui avait procuré un uniforme rouge et un mousquet de soldat aux gardes, avec lesquels il le plaçait en sentinelle, pendant tout l’hiver, à la porte des hôtels où il soupçonnait quelque intrigue. On ne prenait jamais ombrage de ces sentinelles, que le capitaine des gardes posait en général où il lui plaisait, pour prévenir des querelles, empêcher des attroupemens, etc. Cet espion militaire pouvait donc tout à son aise observer les allans et venans, noter les visites, tenir registre des heures. Rochester fit ainsi et sans que l’on pût savoir où il prenait ses renseignemens.