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En outre, le droit de représentation était refusé à des villes qui, comme Manchester et Birmingham, avaient conquis par leur importance le premier rang : au contraire, il avait continué d’appartenir à des hameaux, à des habitations qui avaient seules, pour ainsi dire, survécu sur l’emplacement d’anciens bourgs peu à peu détruits, et il était resté attaché même à des ruines. L’élection était dès-lors à la discrétion du propriétaire du bourg, auquel toutes les maisons appartenaient, et qui n’y faisait habiter que les électeurs dont il pouvait disposer suivant son bon plaisir. En 1820, le propriétaire d’un de ces bourgs, lord Lonsdale, y fit venir des ouvriers qu’il payait à la semaine, leur fit bâtir des chaumières, et s’assura ainsi le nombre de votans qui lui était nécessaire pour faire réussir son candidat : c’étaient des ouvriers mineurs, et il les appelait ses gentilshommes noirs. Le nom de bourgs pourris avait été donné à ces collèges électoraux inféodés à un patron tout-puissant qui les transmettait régulièrement, par donation ou testament, à tel ou tel de ses héritiers, ou bien les vendait même quelquefois au plus offrant. Le prix de telles ventes s’est élevé, dans certaines circonstances, jusqu’au-delà d’un million. Toutefois un tel trafic n’était pas en désaccord avec les mœurs d’un pays où les grades militaires s’achètent et ne donnent pas à l’armée des officiers moins braves, de même que la vénalité des charges judiciaires ne donnait pas à l’ancienne magistrature française des juges moins intègres peut-être. Il faut reconnaître que, sous l’empire même de cette législation, jamais on n’avait vu entrer au parlement des députés qui se fussent montrés indignes ou incapables d’y siéger. C’était à l’aide d’un tel système qu’avait prévalu la prépondérance de l’aristocratie, et il avait été calculé qu’un petit nombre de pairs et de grands propriétaires faisaient nommer à la chambre des communes 450 membres, parmi lesquels 63 dépendaient de la nomination de 7 pairs seulement. Toutes ces anomalies et toutes ces injustices exigeaient impérieusement que le système électoral du pays, sans être sacrifié dans ses principes, fût cependant remis d’accord avec les changemens et les progrès d’un état social où il avait cessé d’être à sa place. Des classes nouvelles avaient gagné la puissance et la richesse ; « des villes, dit Macaulay, étaient devenues de petites bourgades, tandis que des villages étaient transformés en cités plus étendues que la Londres des Plantagenets : il ne fallait pas interdire le présent ni murer l’avenir. »

Toutefois, avant de poursuivre résolument l’œuvre toujours périlleuse des réformes, même les plus nécessaires, l’Angleterre sut attendre, et on peut dire qu’elle pouvait attendre. La constitution défectueuse du pouvoir électoral n’avait pas empêché le libre jeu des institutions. Il avait suffi que ce pouvoir fût légalement disputé