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1665 eut expérimenté la vie, apprécié le néant des préjugés, et poussé l’analyse à cette extrémité périlleuse où le mépris dans lequel on enveloppe toute chose atteint et comprend le sceptique lui-même, chez qui se trouvent ainsi détruits les mobiles ordinaires de toute activité généreuse, de tout sacrifice à l’opinion, de tout dévouement, de toute abnégation héroïque.

En attendant, et après quelques indécisions dont on retrouve à peine quelques traces, Rochester se plongea violemment dans cette vie étrange, dans ces désordres effrénés où l’exemple royal entraînait les courtisans de tout âge, et dont la comédie du temps, stimulée par eux aux plus inexcusables licences, nous a conservé les scandaleuses traditions. C’est dans les ouvrages de Wycherley, de Shadwell, de la fameuse Afra Behn, mais c’est surtout dans ceux d’Etheredge qu’il faut les aller rechercher.

Sir George Etheredge, dont la vie et les écrits présentent un accord déplorablement harmonieux, était en ce temps-là un courtisan des plus déliés, un diplomate de quelque renom[1], et ses comédies ont justement ce degré de mauvais ton qui appartient en propre à la meilleure compagnie. Il passe d’ailleurs pour avoir mis en scène ses contemporains, copiés d’après nature, et Rochester notamment lui a fourni un de ses types, les plus heureux, celui de Dorimant, l’homme élégant, le séducteur par excellence, le modèle de la jeune noblesse sous Charles II. C’est une bonne fortune dont il faut tenir grand compte que de rencontrer ainsi sur notre route cette image, reconnue fidèle, du personnage que nous étudions. Arrêtons-nous-y quelque peu.

Nous voici donc au théâtre royal, chez les « serviteurs de leurs majestés. » On y va jouer une comédie dédiée à « son altesse royale la duchesse » (la duchesse d’York, Marie d’Esté, princesse de Modène). Le prologue est de sir Car Scroope, baronet, un des beaux esprits de la cour, ennemi intime de Rochester. L’épilogue est du grand Dryden lui-même. L’auteur, en bon et courageux Anglais, entend se moquer des modes et du jargon importés de France. Il a choisi, pour les montrer sous leur jour le plus ridicule, le personnage qui donne son nom à la pièce, sir Fopling Flutter (fopling, petit fat, flutter, voltigeur). Ce merveilleux d’un autre âge arrive

  1. Il était aussi l’ami assez intime de Dryden, qui tenait à cette époque le sceptre littéraire. On peut lire dans les poésies mêlées du Malherbe anglais une épître familière adressée à sir George Etheredge, alors plénipotentiaire aux bords du Rhin. Il l’y plaisante agréablement sur ses galanteries présumées, le vin que les Allemands l’obligent à boire, l’ennui de ses fonctions officielles, et finit par le sommer d’écrire une comédie « à l’exemple du duc de Saint-Aignan et du duc de Buckingham. » — Poems upon severol occasions, éd. d’Edimbourg, t. II, p. 117.