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l’historiette de ces violons de Thetford que le roi manda tout exprès devant lui, Sedley et Buckhurst, pour se régaler après boire de leurs refrains les plus grivois ; — il pourrait au besoin citer ces couplets édifians, — mais il s’en abstient, le loyal sujet. Et la comique orgie de Cranbourne, il la connaît aussi, sans nul doute, mais il laisse à Pepys le soin de la raconter. Or voici, bien abrégé, le récit de Pepys. On était à table chez sir George Carteret, honoré d’une visite du monarque. La séance avait été longue et bien employée. Les convives se trouvaient en général arrivés à cet état de béatitude attendrie qui prédispose les buveurs aux épanchemens les plus fraternels. Un d’eux alors, — Pepys le nomme, c’était Armour, — interpelle directement sa majesté. Il lui reproche de ne plus aimer autant que jadis le duc d’York, son royal frère. Charles II se défend gravement de cette accusation à brûle-pourpoint. Armour insiste ; il demande des preuves. — « Sire, si vous dites vrai, si vous aimez le duc,… eh bien !… là… devant nous, portez sa santé… » Verre en main, le monarque se lève, vacillant sur ses jambes avinées. — A genoux, sire ! s’écrie un des ivrognes. — A genoux ! répètent les autres… Et Charles II s’agenouille dévotement. À côté de lui se jettent pêle-mêle les acteurs de cette scène ridicule… On s’embrasse à la ronde, on bégaie, on s’attendrit, les larmes coulent… Et nous restons ébahis, nous, en songeant que nous avons là sous les yeux la préface du règne de Jacques II, l’avant-propos d’une grande et immortelle révolution[1].

Donc Hamilton, ceci est évident, ne dit pas tout. Ce qu’il dit, il l’atténue, il l’adoucit. L’historiette de lady Muskerry, par exemple, n’est qu’une édition singulièrement expurgée d’une anecdote qui, à vrai dire, avait besoin de l’être. On se rappelle certainement cette bonne lady Muskerry, poussée par le démon de la danse à venir figurer à Tunbridge dans les quadrilles organisés chez la reine. Elle était, « par la grâce de Dieu, grosse de six à sept mois, et son enfant s’était mis tout d’un côté. » Ce défaut d’équilibre avait été tant bien que mal réparé au moyen d’un oreiller glissé sous les jupes de la dame ; mais son ardeur chorégraphique déjoue cette précaution. L’oreiller tombe au milieu de la première figure ; le duc de Buckingham s’élance, le ramasse, le couvre d’un pan de son juste-au-corps, et, nous dit Hamilton, « contrefaisant les cris de l’enfant nouveau-né, il allait parmi les filles d’honneur demandant une nourrice pour le pauvre petit Muskerry. » Après tout, il n’y a là qu’une plaisanterie

  1. On se rejettera peut-être sur les mœurs du temps ; on nous citera les réunions de la Pomme de Pin, où Desbarreaux et Chapelle grisaient Molière, La Fontaine, voire Boileau quelquefois, dans le feu de la discussion ; mais avaient-ils, ces gens d’esprit, à sauvegarder la dignité royale ?