Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/834

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui a jeté un hardi sourire. Samuel Pepys, espèce de Tallemant des Réaux naïf, passant par hasard, a surpris le sourire et le notera, ce soir même, dans son perfide et précieux journal. Il le notera surtout si, cinq minutes après, il vient à rencontrer le comte de Castlemaine, ce dévot et complaisant mari de la favorite, car alors Pepys s’émerveille et s’amuse de voir les deux époux échanger de cérémonieux saluts[1].

Sur ces entrefaites survient un charmant garçon, mis comme l’Alcidas ou le Lycaste du Mariage Forcé (le Mariage Forcé est de 1664). Il arrive de Rome, où il a vu le pape, ce qui plaira fort au duc d’York. Il arrivé de Paris, où Antoine Hamilton, qui est justement de son âge et qui a des alliances avec les Coligny, a pu le présenter à l’hôtel de Nevers, chez Anne de Gonzague. Il y a vu la jolie Mme de Sévigné, alors préoccupée du procès de Fouquet, tout près de s’entamer. Il sait par cœur son Molière et son Boileau, se moque agréablement du vieux Chapelain et du vieux Balzac ; mais il a soupé à Saint-Cloud, chez la Du Ryer, avec Desbarreaux, qui lui a conté, à la troisième bouteille, les débuts de Marion Delorme, chapitre intéressant, quoique déjà vieux, de l’histoire amoureuse des Gaules. Bref, notre jeune cadet est des mieux dégourdis ; il a du monde, et le docteur Balfour, qui se tient humblement à quelques pas en arrière, n’est pas mécontent de ce nouveau Télémaque. Désormais, pour tout mentor, Rochester, bien et dûment émancipé, n’aura plus que Charles II, lequel, de temps à autre, déléguera ses pouvoirs à Killegrew. Voilà de quoi compléter une éducation si bien commencée.

Il faut à Rochester des emplois de cour qui lui donnent ses entrées et légitiment sa présence aux petits soupers du roi. Aussi est-il immédiatement nommé chambellan (gentleman of the bed-chamber) et contrôleur du parc de Woodstock. Qu’on ne se méprenne pas sur ces fonctions, qui de nos jours encore constituent des sinécures aristocratiques. Ouvrez le Peerage, vous y trouverez dès les premières pages un marquis d’Anglesbury, ranger de la forêt de Sevenoake ; un marquis d’Anglesey, ranger de la forêt de Snowdon. Le duc de Cambridge lui-même, le cousin germain de la reine, s’il a hérité de tous les honneurs paternels, doit être ranger du nouveau parc de Richmond et gardien de New-Forest. La forêt de Sherwood, — chère aux amateurs de ballades, — a pour ranger le duc de Newcastle. Bref, ces humbles titres[2] n’accompagnent guère que les plus grands

  1. La scène est bien plus complète dans Pepys. La femme et le mari prennent tour a tour et bercent dans leurs bras un enfant encore au maillot, avec lequel le comte n’a certainement rien à démêler.
  2. Le ranger d’une forêt, disent sérieusement les anciens dictionnaires, est un officier dont la besogne consiste à parcourir à pied (range) tous les jours une forêt ou un parc, et à dénoncer tous les délite commis dans sa juridiction (bailiwick) à la cour forestière la plus voisine.