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enthousiasme de 1660, — si singulier qu’il surprit même celui qui en était l’objet, — n’avait pas subi les graves échecs qui préparèrent plus tard les rancunes de 1688. Charles II était dans toute la fleur de sa jeunesse et de sa popularité. Des scandales éclataient sans doute, et de tous côtés ; mais on les tolérait en expiation de l’exil dont le jeune monarque avait si longtemps savouré l’amertume, exil pourtant assez bien occupé, car on y a compté jusqu’à dix-sept liaisons amoureuses de tout ordre et de tout mérite. On le regardait avec indulgence jeter sa gourme de roi vert-galant. Son indifférence sceptique rassurait la masse de la nation, qui, le voyant si mauvais protestant, ne pensait pas qu’il devînt jamais zélé catholique, et c’était toujours cela de gagné. Les poètes serviles, Dryden en tête, chantaient encore l’Astrœa redux avec un enthousiasme tout mythologique, immolant des taureaux au dieu Portunus, des brebis sur l’autel de l’Océan tempétueux qui leur avait ramené, avec les princes exilés, une ère de paix éternelle, de prospérité fabuleuse[1]. À peine âgé de quatorze ans, Rochester, parfaitement excusable en ceci, avait mêlé sa voix à cette formidable explosion de chants séculaires, de monodies, de trrénodies, d’hymnes, de cantates monarchiques, et mérita ainsi je ne sais quelle distinction universitaire qui lui fut décernée par l’austère Clarendon, alors chancelier d’Oxford. Il arrivait donc avec le triple éclat de son nom, cher à tout bon royaliste, de sa rare beauté, mérite fort peu dédaigné par les grandes dames du temps, et de ses talens précoces, qui le mettaient de pair avec l’élite de la noblesse, laquelle se piquait, la mode y étant, de poésie et d’érudition.

Aussi lui fit-on place au premier rang. Nous nous figurons volontiers sa présentation, qui dut, à quelques nuances près, ressembler à celle du jeune Peveril du Pic, si bien racontée par Walter Scott. Le roi se promène à fort grands pas et fort vite, selon sa coutume, dans le mall du parc Saint-James : une petite meute de ces chiens auxquels il a laissé son nom folâtre et gambade autour de lui. Il ne se fait pas garder à vue, comme plus tard (1671), par un officier des horse-guards. Deux ou trois courtisans oisifs, voilà son cortège ; peut-être le prince Rupert, peut-être Chiffinch ou Samuel Morland, les Lebel du Louis XV anglais ; peut-être Saint-Évremond, qu’il a nommé par plaisanterie gouverneur de l’Ile-aux-Canards, mauvais lopin de terre entouré de marais, où l’indolent monarque aimait à élever en grand nombre et à nourrir de ses mains ces intéressans palmipèdes. Il vient d’entrevoir à la fenêtre de son boudoir la belle Palmer en déshabillé du matin, qui, par-dessus ses blanches épaules,

  1. A bull to thee, Portunus, shall be slain ;
    A lamb to you, the tempests of the Main, etc. (DRYDEN, Astrœa Redux.)