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que l’examen des œuvres de peinture. Il était facile de le prévoir, puisque les travaux du nouveau Louvre ont occupé un grand nombre de sculpteurs. Même en faisant la part de ces travaux, nous sommes obligé de reconnaître que le maniement du ciseau est aujourd’hui plus capricieux encore que le maniement du pinceau. Je dis plus capricieux, je devrais dire moins sensé. Les idées générales que j’ai pris soin d’exposer avant d’aborder les œuvres nouvelles me dispensent de revenir sur les causes de cette condition secondaire. L’habileté technique ne fait pas défaut : nous possédons aujourd’hui des praticiens d’une adresse consommée ; mais la sculpture est plus loin de la réalité que la peinture, et comme depuis quelques années elle s’est malheureusement engagée dans la voie de l’imitation sans tenir compte des lois qui la dominent, elle s’éloigne de plus en plus du but qui lui est assigné. Obligée, par sa nature même, de faire à l’idéal une part plus large que la peinture, tantôt elle engage avec elle une lutte imprudente et se condamne à la défaite, tantôt elle essaie de copier le modèle vivant dans ses moindres détails, et se voit déçue dans son espérance. La sculpture est aujourd’hui sortie du chemin où elle devrait marcher ; tous ceux qui s’intéressent à ses travaux sont obligés de le reconnaître. Comment réussira-t-elle à franchir l’intervalle qui la sépare de la vérité ? Il n’y a pas deux manières de résoudre cette question. Si la sculpture continue à suivre les caprices de la foule, à se faire sensuelle pour aiguiser les appétits émoussés des hommes blasés avant leur maturité, elle est compromise pour longtemps. Je dis compromise et non perdue, car l’humanité porte en elle-même le germe de la vérité, et le beau, qui, selon l’expression du philosophe grec, n’est que la splendeur du vrai, est immortel comme l’idée qu’il révèle dans tout son éclat. Suivre le goût public est une preuve d’abaissement. Ceux qui inventent, qu’ils tiennent la plume, le pinceau ou le ciseau, doivent avoir l’ambition d’imposer leur pensée à la foule. S’ils renversent les rôles et obéissent au lieu de commander, ils renoncent à leur dignité et perdent le droit de se plaindre quand le public les trouve indociles. L’intelligence, manifestée par la parole, par la forme, par la couleur, n’appartient pas à tous. Poètes, peintres et sculpteurs ont un rang à garder. Or la sculpture a méconnu cette nécessité : elle est devenue la très humble servante du public ; elle n’invente pas librement pour conquérir la célébrité, avant de prendre l’ébauchoir, elle flaire le vent. Si elle veut revenir à la vérité, il faut qu’elle commence par dédaigner le goût public. Les vieillards et les jeunes gens blasés se plaindront ; qu’importe ? Ils diront à la sculpture : Vous ne faites plus rien pour nous. Ce n’est pas là un danger qui doive effrayer. Je crois