Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/818

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par son caractère, par son malheur, par les légendes qui se rattachent à son nom, elle sollicite l’emploi des facultés expressives. M. Millet me paraît avoir traité la physionomie d’Ariane comme une question secondaire, c’est-à-dire, en d’autres termes, qu’il n’a compris qu’une partie du sujet. Il va au musée du Capitole une tête d’Ariane, connue à Paris par le moulage, et qui aurait dû l’éclairer. Cette tête, dont je ne prétends pas désigner l’auteur, mais qui appartient certainement à l’une des meilleures époques de l’art, est empreinte d’une mélancolie profonde, et en même temps d’une beauté harmonieuse. Dans l’Ariane de M. Millet, que trouvons-nous ? De la jeunesse, et rien de plus. Les lèvres sont épaisses et d’une forme indécise. Quant au regard, il n’est pas facile de savoir ce qu’il vaut, puisque les yeux sont à demi cachés par la main. À vrai dire, l’Ariane de M. Millet exprime plutôt la somnolence que la douleur. Je suis donc autorisé à dire que l’auteur s’en est tenu à la moitié de sa tâche. Cependant, par cet ouvrage, dont j’approuve la partie plastique, dont je blâme la partie expressive, il a conquis dès à présent une place très honorable parmi les sculpteurs de notre temps. L’union des deux mérites que je demande n’est pas assez commune pour que la possession d’un seul soit à dédaigner. M. Millet sait modeler la forme humaine, c’est un point important. Plus tard, bientôt, je l’espère, il trouvera moyen d’exprimer les sentimens qui modifient le masque humain de manières si diverses.

La Vierge-Mère, de M. de Mesmay, révèle une fâcheuse tendance, le dédain du modèle vivant. Il est évident, et lors même que les amis de l’auteur ne se plairaient pas à le répéter, un regard exercé le devinerait sans peine, il est évident que M. de Mesmay s’est affranchi de l’étude de la réalité pour garder plus de liberté dans ses allures. Je pense, et je n’hésite pas à le dire, qu’il s’est complètement trompé. Ce n’est pas que la Vierge-Mère soit dépourvue de tout mérite : il y a dans le vêtement de la Vierge une souplesse dont nous devons tenir compte ; seulement il est important de noter que cette draperie abondante, disposée avec une habileté ingénieuse ; n’explique pas la forme du modèle. Or c’est là une faute capitale, et je n’ai pas besoin de dire pourquoi. Tous les grands maîtres qui ont manié le ciseau ont reconnu l’importance de cette condition, et j’ai peine à comprendre que M. de Mesmay se soit attribué le droit de la négliger. Il y a, je le sais, parmi les ouvrages de la renaissance quelques figures qui sembleraient donner raison à l’auteur de la Vierge-Mère, mais ces figures ne sont pas comptées parmi les meilleures de cette époque féconde. Jean Goujon et Germain Pilon, toutes les fois qu’ils n’ont pas abordé le nu directement, ont cru à la nécessité d’expliquer le nu par la draperie. M. de Mesmay s’est affranchi