Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/809

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’une occasion propice pour se révéler ? J’abandonne aux habiles le soin de résoudre cette question. Je ne veux ni flatter, ni calomnier mon temps, et je n’ai pas entre les mains de quoi répondre pertinemment.

Ce qui me paraît démontré, c’est que Phidias et Ictinus, s’ils revenaient parmi nous, auraient grand’peine à nous donner un nouveau Parthénon, car aujourd’hui ceux qui remplissent le rôle d’Ictinus ne tiennent guère à consulter ceux qui remplissent le rôle de Phidias. Et pour avoir un nouveau Parthénon, nous aurions besoin de voir la parité rétablie entre l’architecture et la sculpture. Je sais que l’architecture se proclame en toute occasion reine des arts du dessin, que la sculpture et la peinture ne seraient, à l’entendre, que ses très humbles servantes. C’est une affirmation déjà bien vieille, et qui, malgré sa vieillesse, n’a pas encore acquis l’autorité de l’évidence. Ictinus ne faisait rien sans consulter Phidias, comme Phidias ne décidait rien sans consulter Ictinus. Nous devons à cet accord constant le temple de Minerve, qui étonne encore aujourd’hui ceux qui connaissent le développement de l’imagination humaine depuis l’école d’Égine jusqu’aux écoles de la renaissance. Or ce qui se passe maintenant ne ressemble guère aux coutumes de la Grèce. L’architecte est souverain, et les sculpteurs doivent s’incliner. L’architecte invente à son gré, sans consulter personne, et tout ce qu’il lui a plu de crayonner, d’ébaucher à la sépia, le ciseau doit le traduire fidèlement. Ce n’est pas un sculpteur qui lui obéit, c’est une légion de sculpteurs. Les faces d’un monument se partagent comme les miettes d’un gâteau. Chacun recueille avidement la miette tombée entre ses mains, et se réjouit de sa bonne fortune. Que devient l’unité du monument ? Elle devient ce qu’elle peut. Tantôt ceux qui ont passé leur vie à modeler des figurines pour orner les cheminées ou les guéridons sont chargés, je ne dis pas de concevoir, mais d’exécuter des caryatides ; tantôt ceux qui ont rêvé depuis leurs premières études l’accomplissement des projets les plus hardis se trouvent appelés à des travaux d’ornement qu’ils n’osent refuser, mais qui les déconcertent. Il ne leur est pas permis de changer ce qu’ils désapprouvent dans les esquisses de l’architecte. Leur premier devoir est l’obéissance. On ne leur dit pas de créer, mais d’accomplir ce qui est résolu. En agissant ainsi, on espère sans doute établir l’unité, c’est la première pensée qui se présente : une seule volonté, un seul commandement, docilité absolue de la part de tous ceux qui tiennent le ciseau. La pierre sera taillée pour l’expression d’une seule pensée. C’est un rêve magnifique ; mais la réalité vient le démentir cruellement. Parmi les architectes les plus habiles, il y en a bien peu qui soient en état de prévoir ce que deviendront leurs projets traduits