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Bertin ; je dis Homère, sans vouloir obliger le ciseau à ne jamais traiter que des sujets héroïques. Achille, Ajax et Patrocle ne sont pas les seuls personnages qui doivent exprimer la force et le courage dans le domaine de la sculpture, Hélène et Briséis ne sont pas les seuls types de la beauté ; mais dans les chants homériques la passion n’a jamais rien de lascif, et le ciseau trouverait difficilement des sujets plus heureux que les traditions héroïques de la Grèce. Cependant il peut aborder sans danger les sujets tirés de l’histoire moderne. L’expression du visage, que les Grecs n’ont pas négligée comme on le dit, mais qui ne pouvait offrir une grande variété lorsqu’il s’agissait de représenter les dieux et les héros, prendra nécessairement une plus grande importance dès que la sculpture demandera ses inspirations à l’histoire moderne. Les personnages purement humains, condamnés à la souffrance, capables de joie, d’espoir et de remords, offrent au ciseau d’abondantes ressources. Quant à la beauté calme et sereine, quant aux lignes harmonieuses, c’est surtout dans les sujets païens qu’il faut les chercher. Il y a dans les sujets compris entre le Ve et le XIXe siècle de l’ère chrétienne un danger très évident sur lequel on ne saurait trop insister : l’oubli de la forme humaine. Je veux dire que la forme disparaît sous le vêtement, sous l’armure, et se laisse deviner trop difficilement.

Lors même d’ailleurs que la sculpture abandonnerait l’antiquité païenne pour s’en tenir aux personnages de l’histoire moderne, et je ne voudrais pas lui donner un tel conseil, elle ne serait pas dispensée d’inventer. Aujourd’hui, dans les arts du dessin, l’invention est dédaignée comme un mérite secondaire, et pourtant tous les peintres, tous les sculpteurs dont le nom se transmet de génération en génération sans rien perdre de sa grandeur, étaient d’un autre avis : ils mettaient l’imagination au-dessus de la mémoire, et ils avaient raison. Nous avons cette année quatre cents ouvrages de sculpture, et les morceaux importans ne sont pas nombreux. En choisissant parmi ces morceaux ceux qui se recommandent par l’élégance de la forme, il nous sera facile de démontrer la légitimité de nos craintes. Les talens ne font pas défaut ; ce qu’on rencontre bien rarement, c’est l’originalité, et la doctrine qui domine aujourd’hui nous explique pourquoi il règne parmi la plupart de ces ouvrages une si affligeante monotonie. Si la doctrine que je prends pour l’expression de la vérité remplaçait les doctrines que je combats, les hommes de génie n’abonderaient pas, je le sais bien ; mais, chacun s’attachant à exprimer une pensée personnelle, à défaut d’originalité puissante, nous aurions du moins la variété. La volonté intervenant, toutes les figures, je parle des meilleures, ne sembleraient pas exécutées sous la direction du maître. Les méprises seraient