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Michel-Ange, Jean Goujon inventaient, faute de pouvoir imiter. Dans leurs momens les plus heureux, ils se rapprochaient de la nature, mais ils ne possédaient pas un savoir assez profond pour demeurer toujours vrais. Ce que nous appelons leur génie ne serait donc en réalité qu’un signe de défaillance ! La doctrine que je résume ici a porté ses fruits. Le plus chaste et le plus idéal de tous les arts, la sculpture, est devenu prosaïque et sensuel. Les grandes pensées, les émotions généreuses ne sont plus de son domaine. La sculpture abandonne l’harmonie des lignes pour les plis de la peau, et quand le regard ne lui suffit pas, elle recourt au moulage. Une épaule, un genou fidèlement imités sont aujourd’hui des titres de gloire. Si quelqu’un s’avise de signaler la mesquinerie d’une figure où se rencontrent ces glorieux morceaux, il se voit exposé aux reproches d’ignorance et d’injustice. Ainsi vouloir que la sculpture demeure dans les régions élevées où elle a vécu avec Phidias, avec Michel-Ange, avec Jean Goujon, c’est prouver qu’on ne possède pas les notions les plus élémentaires de l’esthétique. Rêver, souhaiter quelque chose au-delà de ce qui est, demander des lignes plus pures, plus harmonieuses que les lignes du modèle vivant, c’est montrer clairement son incompétence.

Cependant, sans remonter jusqu’à la renaissance, jusqu’au siècle de Périclès, en n’interrogeant que le temps présent, nous pouvons établir le néant et la folie de cette affirmation. Les sculpteurs les plus habiles, dont les œuvres ont été achevées sous nos yeux, Pradier, David et Barye, n’ont pas dédaigné la tradition ; seulement chacun d’eux l’a comprise à sa manière. Pradier passe pour l’avoir suivie plus fidèlement que David et Barye. C’est là l’opinion accréditée. Est-ce l’expression de la vérité ? Je ne le pense pas. Pradier inventait rarement, et l’on s’est habitué à prendre l’impersonnalité de son talent pour le sentiment le plus profond et le plus parfait du génie antique. David, dont les ouvrages ne sont pas toujours d’un goût très pur, se rattache à l’antiquité par son habitude d’idéaliser le modèle. Qu’il ait méconnu plus d’une fois l’élégance et l’harmonie, c’est un fait acquis à la discussion ; mais il ne s’en tenait pas au témoignage de ses yeux, il agrandissait ce qu’il voyait, et suivait à son insu ou à bon escient les leçons de la Grèce. Quant à Barye, il a prouvé en mainte occasion son respect pour la tradition. Depuis son groupe de Thésée luttant avec le Minotaure, qui rappelle le style éginétique, jusqu’à ses groupes de la Paix et de la Guerre, placés au nouveau Louvre, il a toujours témoigné à la Grèce un respect filial.

Ainsi l’imitation littérale, qu’on voudrait nous donner pour une doctrine supérieure à tous les enseignemens de l’antiquité, de la