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ses bas-reliefs du tombeau de Napoléon, il n’avait pas laissé passer un seul jour sans acquérir une connaissance nouvelle. La renommée, qu’il rêvait avant d’obtenir le grand prix de Rome, était venue récompenser la persévérance de ses efforts. Malheureusement l’école française, prise dans son ensemble, est loin de suivre la voie où s’était engagé Simart : elle croit qu’il suffit de copier le modèle, et professe pour l’idéal un dédain superbe. Or, si elle voulait bien consulter l’histoire, elle comprendrait toute l’étendue de sa méprise. Prenons en effet la tradition grecque, la tradition italienne, la tradition française dans leurs plus glorieux représentai ; étudions Phidias, Michel-Ange, Jean Goujon. S’en tenaient-ils, comme l’école française de nos jours, à l’imitation littérale du modèle vivant ? La réponse est écrite dans la mémoire de tous les hommes studieux. La Cérès du Parthénon, la Diane du château d’Anet, le Moïse de Saint-Pierre-aux-Liens, révèlent clairement la doctrine suivie par ces maîtres illustres. Ils savaient imiter et n’imitaient pas. La réalité leur était familière, mais ils s’élevaient au-dessus de la réalité. Pour eux, la forme n’avait pas de secrets. Ils pouvaient modeler sans effort tout ce que leurs yeux avaient aperçu, et ne voyaient pourtant dans la forme qu’une langue destinée à l’expression de leur pensée.

Entre les représentans de cette triple tradition, qui n’est, à vrai dire, qu’une tradition unique, puisque l’Italie et la France relèvent de la Grèce, le choix n’est pas difficile à faire. La Cérès du Parthénon domine le Moïse de Saint-Pierre-aux-Liens et la Diane du château d’Anet. Michel-Ange, Jean Goujon sont les élèves respectueux, mais infidèles de Phidias. Ce qu’il importe de noter, c’est la simplicité, la perpétuité de la doctrine qui unit le maître aux élèves. La Grèce au temps de Périclès, l’Italie et la France au temps de la renaissance ont voulu une seule et même chose, — l’agrandissement du modèle vivant par l’intervention de la pensée. — L’école française de nos jours procède autrement : elle prend l’imitation du modèle vivant pour le terme suprême de ses efforts ; elle répudie la tradition grecque, italienne et française, et croit faire un pas en avant, c’est-à-dire qu’elle répudie la langue articulée, la langue écrite, pour le bégaiement. C’est à ces termes que se réduit la supériorité dont elle se vante si fièrement. Personne aujourd’hui n’est en mesure de refaire la Cérès, le Moïse, ou la Diane ; tous les hommes éclairés le savent de reste. Le plus grand nombre de nos sculpteurs dédaigneraient d’engager la lutte avec les maîtres à qui nous devons ces trois glorieuses figures ; voilà ce qu’on ignore généralement. La tradition, c’est-à-dire l’enseignement transmis de génération en génération depuis Périclès jusqu’à Jules II, jusqu’à Henri II, n’est aux yeux de nos sculpteurs qu’une aberration permanente. Phidias,