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revient avec une persistance bizarre, à chaque page de ses pensées, je veux dire son antipathie pour les femmes. Lamennais est pour elles d’une sévérité révoltante : il déclare n’en avoir pas rencontré une qui fût capable de suivre un raisonnement pendant un demi-quart d’heure ; il croit les expliquer suffisamment par la vanité et la légèreté. Sa manière scolastique de prendre les choses ne lui laissa point apercevoir comment les femmes, par des voies à elles connues, arrivent à tout comprendre, non selon les principes de l’école, mais selon un tact fin et sûr. On a reproché à M. Cousin d’avoir, en s’occupant d’elles, oublié la philosophie : je pense, pour ma part, que M. Cousin n’en a jamais fait de meilleure. J’ai toujours remarqué qu’une certaine philosophie raffinée est mieux comprise par les femmes que par les hommes, et si j’avais à choisir un auditoire pour exposer ce que je regarde comme le résultat le plus élevé de la science et de la réflexion, je l’aimerais mieux composé de femmes que d’hommes élevés selon la méthode de Rollin ou de Port-Royal. L’orgueil du prêtre, dont Lamennais ne se départit jamais, l’aveugla sur tout cela : il avait vu la femme trop humble et trop docile devant lui pour qu’il pût la placer bien haut. Si l’on publie jamais sa correspondance de directeur des consciences, on aura sans doute l’explication de cet injuste dédain.

Un vif sentiment de poésie, un retour tendre et doux vers les régions sereines, dont son âme portait partout le regret, revenait parfois tempérer ses âpres rigueurs. Cette note suave, comme d’une harpe éolienne au milieu de l’orage, est le trait caractéristique de Lamennais. Entre toutes les natures poétiques de ce temps, la sienne resta la plus sincère. Il ne tomba jamais dans cette dérision de soi-même où la vanité et l’adulation d’un public frivole ont amené tant d’âmes d’abord favorisées. Il sut éviter ce ton détestable qui porte les hommes arrivés à la renommée à ne plus se prendre au sérieux, à se calomnier eux-mêmes et à rabaisser leur génie aux conditions d’un métier. Il pensa et sentit toujours pour son propre compte ; il fut vrai et se respecta jusqu’au bout. « Mon âme, pourquoi es-tu triste ? est-ce que le soleil n’est pas beau ? est-ce que sa lumière n’est pas douce, à présent que l’on voit et les feuilles et les fleurs, avec leurs mille nuances, éclore sous ses rayons, et la nature entière se ranimer d’une vie nouvelle ? Tout ce qui respire a une voix pour bénir celui qui prodigue à tous ses largesses. Le petit oiseau chante ses louanges dans le buisson, l’insecte les bourdonne dans l’herbe. Mon âme, pourquoi es-tu triste, lorsqu’il n’est pas une seule créature qui ne se dilate dans la joie, dans la volupté d’être, qui ne se plonge et ne se perde dans l’amour ?

« Le soleil est beau, sa lumière est douce ; le petit oiseau, l’insecte, la plante, la nature entière a retrouvé la vie, et s’en imprègne,