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apportèrent avec eux, et qui ramenèrent pour l’humanité un âge héroïque après l’avilissement et la caducité ! Si M. de Lamennais, au lieu de s’en tenir à des données superficielles, avait lu seulement les vieilles lois barbares recueillies dans le Corpus juris Germanici antiqui, il eût reconnu que, loin de s’être bornée à détruire, la race germanique a plus contribué qu’aucune autre à fonder la liberté, le droit de l’individu contre l’état et les institutions politiques dont les peuples modernes sont le plus justement fiers.

L’histoire de la théologie chrétienne suggère à M. de Lamennais des idées plus fines et plus vraies. Sans être arrivé à une précision tout à fait scientifique, faute de connaître les détails, il émet sur ce sujet, particulièrement dans son volume de Mélanges, des vues qui témoignent de réflexions fort avancées. J’ignore à quelle époque de sa vie il arriva à de pareils résultats. Il semble être sorti du catholicisme pour des motifs de froissement personnel bien plus que par la marche fatale de sa pensée : l’étude lui révéla ensuite les raisons scientifiques de l’acte qu’il avait accompli sous le coup de la passion. Dans cette recherche, à laquelle on ne peut reprocher que d’avoir été faite après coup, il porta une rare sûreté de méthode, que ne peuvent bien apprécier les hommes du monde qui n’ont pas fait de théologie. Sur la critique du surnaturel, par exemple, on trouve dans son livre d’excellentes discussions, qui égalent presque les belles analyses de la foi au merveilleux qu’a données M. Littré. « Il y a des miracles quand on y croit ; ils disparaissent quand on n’y croit plus. » Peut-on mieux dire ? Et quelle excellente page que celle-ci ! « Surtout ce qui touche l’inspiration des livres hébreux, il faut remarquer que, chez les anciens peuples, toute législation, comme toute poésie, était crue inspirée, et quand cette opinion s’établit, elle laisse dans le langage, dans certaines formules consacrées, des traces profondes qui subsistent encore aujourd’hui. L’homme voyait Dieu partout, le sentait partout, et ce n’était certes pas en cela qu’il se trompait. Par une sorte de vive et sûre intuition, il le découvrait en soi et hors de soi ; mais il ignorait ce que la raison, la philosophie, la science devaient peu à peu lui révéler, le mode de sa présence et les lois de son action. Pour établir l’inspiration surnaturelle des écrivains bibliques, on oublie donc d’abord qu’en tous lieux les premières histoires, purement traditionnelles, se composaient de récits vrais pour le fond, mais ornés dans le détail de fictions poétiques, que de tout temps le génie oriental, ami du merveilleux, a multipliées sous toutes les formes. Prenant ensuite à la lettre ce merveilleux poétique, ces fictions, y attachant une foi absolue, on a fondé sur elles l’autorité divine du livre où elles sont consignées, en même temps que l’on fondait sur l’autorité du livre la vérité de ces mêmes fictions. Que si en effet on ne consent pas à se renfermer dans ce