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avec une parfaite proportion un cadre achevé. Renonçant au rhythme poétique, qui ne convenait pas au mouvement plus oratoire que lyrique de sa pensée, il créa avec des réminiscences de la Bible et du langage ecclésiastique cette manière harmonieuse et grandiose qui réalise le phénomène unique dans l’histoire littéraire d’un pastiche de génie. Le style des psaumes et des prophètes lui était devenu si familier, qu’il s’y mouvait comme dans la forme naturelle de son esprit. Je ne lis jamais sans une impression de contagieuse magie ces pages éloquentes, où les troubles intérieurs d’une grande âme se sont exprimés avec un accent si profond. Les singularités du caractère breton où l’austérité confine à la langueur, et où sous une apparence de rudesse se cachent des tendresses infinies, expliquent seules les brusques passages, les retours étranges, qui mêlent à de sanglantes paraboles des rêves d’une ineffable douceur, véritables îles fortunées semées dans un océan de colère. Tout se succédait comme un mirage dans cette âme passionnée. Semblable au pèlerin du puits de Saint-Patrice, qui, revenu de son voyage souterrain, mêlait les visions du ciel à celles de l’enfer, Lamennais entremêle à des pages brûlantes de haine des oasis de verdure comme celui-ci :

« Lorsqu’après une longue sécheresse, une pluie douce tombe sur la terre, elle boit avidement l’eau du ciel qui la rafraîchit et la féconde.

« Ainsi les nations altérées boiront avidement la parole de Dieu, lorsqu’elle descendra sur elles comme une tiède ondée.

« Et la justice avec l’amour, et la paix et la liberté germeront dans leur sein.

« Et ce sera comme au temps où tous étaient frères, et l’on n’entendra plus la voix du maître ni la voix de l’esclave, les gémissemens du pauvre, ni les soupirs des opprimés, mais des chants d’allégresse et de bénédiction.

« Les pères diront à leurs fils : Nos premiers jours ont été troublés, pleins de larmes et d’angoisses. Maintenant le soleil se lève et se couche sur notre joie. Loué soit Dieu, qui nous a montré ces biens avant de mourir !

« Et les mères diront à leurs filles : Voyez nos fronts, à présent si calmes ; le chagrin, la douleur, l’inquiétude, y creusèrent jadis de profonds sillons. Les vôtres sont comme au printemps la surface d’un lac qu’aucune brise n’agite. Loué soit Dieu qui nous a montré ces biens avant de mourir !

« Et les jeunes hommes diront aux jeunes vierges : Vous êtes belles comme les fleurs des champs, pures comme la rosée qui les rafraîchit, comme la lumière qui les colore. Il nous est doux de voir nos pères, il nous est doux d’être auprès de nos mères ; mais quand nous