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d’ailleurs fort souvent avec une certaine indécision dans la pratique. La foi de Lamennais avait toujours été plutôt politique et morale que dogmatique et scientifique. Ce qu’il voulut avant tout, ce fut une certaine direction qu’il croyait la meilleure et la plus juste. Une fois qu’il lui fut constaté que la direction qu’il avait rêvée était inconciliable avec le catholicisme, il était difficile qu’il restât fidèle à la doctrine qu’on lui déclarait n’être point ce qu’il avait cru. Sur les points dogmatiques, il fit toutes les concessions qu’on voulut : il ne réserva que les droits sacrés de la conscience sur l’appréciation de la conduite à tenir ; il n’alla point jusqu’à cet héroïsme d’abnégation qui trouve tout simple que d’un jour à l’autre on soutienne des opinions opposées. En supposant même qu’il ne soit pas sorti du catholicisme par des motifs rigoureusement scientifiques, ce ne serait pas là une tache à sa loyauté. Fort peu deviennent croyans pour de bonnes preuves ; fort peu aussi deviennent incrédules pour de bonnes preuves. Il y a mille portes par lesquelles on entre dans la foi, et mille portes par lesquelles on en sort. Le reproche d’orgueil que les orthodoxes ont coutume d’appliquer à ces sortes de changemens n’est pas fondé. Le mot d’orgueil, dans le langage des moralistes chrétiens, est d’ailleurs fort suspect : souvent il sert à stigmatiser des qualités précieuses et même des vertus. Personne ne fut en un sens moins orgueilleux que Lamennais : la simplicité et la sincérité faisaient le fond de sa nature. L’ambition vulgaire, qui préfère à la gloire solide les honneurs officiels, et qui consent à ne pas vivre pour ne pas se rendre impossible, ainsi que l’on dit aujourd’hui, n’entra jamais dans son cœur. Un orgueilleux eût été brisé par les déconvenues et les avanies qu’il eut à subir ; une âme moins désintéressée y eût perdu sa naïveté et sa fraîcheur ; Lamennais en sortit plus vivant et plus créateur que jamais. La vanité se fût usée dans un stérile dépit ; Lamennais se compléta dans l’épreuve ; l’humiliation, loin de l’abattre, l’éleva et l’épura, et de l’ébranlement poétique de son âme sortirent les paroles inspirées qu’il osa, dans le moment même où il perdait sa foi première, intituler avec hardiesse et vérité : Paroles d’un Croyant.

Ce fut au printemps de 1833 que, retiré dans sa solitude de La Chesnaie, Lamennais écrivit ce livre étrange, qu’il faut louer sans réserve, à la condition qu’il soit bien entendu que personne ne songera à l’imiter. Tout ce qu’il y avait dans son âme de passion concentrée, d’orages longtemps maîtrisés, de tendresse et de piété, lui monta au cerveau comme une ivresse, et s’exhala en une apocalypse sublime, véritable sabbat de colère et d’amour. Les deux qualités essentielles de Lamennais, la simplicité et la grandeur, se déploient tout à leur aise dans ces petits poèmes où un sentiment exquis et vrai remplit