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calmaient peu à peu le trouble intérieur. L’ombre des bois, le bruit de la source qui tombe goutte à goutte, le chant de l’oiseau dans le buisson, les bourdonnemens de l’insecte, l’éclat, le parfum des fleurs, l’ondoiement de l’herbe que la brise agite ; toutes ces choses et surtout l’intarissable exhalaison de vie, de cette vie que Dieu verse à torrens au sein de son œuvre perpétuellement jeune, perpétuellement ordonnée pour l’ensemble des êtres et pour chaque être particulier à une visible fin de félicité mystérieuse, raniment l’âme flétrie, l’abreuvent d’une sève nouvelle, lui rendent sa vigueur qui s’éteignait. »

Il faut le dire, l’impression qui résulte de cet honnête récit est entièrement favorable à Lamennais. L’idée même de son voyage, la simplicité avec laquelle il partit pour Rome, croyant que sa foi ardente et sa passion pour la justice allaient tout emporter, la naïve déception qu’il éprouva en présence des représentans de la politique romaine, décidés à ne comprendre ni écouter ses idées, sa surprise quand il lui fut prouvé que des notes diplomatiques provenant de puissances schismatiques avaient plus d’efficacité en cour de Rome que les pures raisons du zèle évangélique et de la foi, sont des traits d’une admirable candeur. Oui, quand ces trois obscurs chrétiens, comme il les appelle[1], s’en allaient vers la cité qu’ils croyaient sainte, ils étaient vraiment les représentans d’un autre âge par la simplicité naïve de leur foi. Lamennais à ce moment me rappelle son compatriote, le carme Conecta, qui partit de Rennes en 1432 pour réformer le pape et les cardinaux. Il fut brûlé comme hérétique ; Lamennais revint, mais ayant perdu la foi. « Il y a, dit-il, une certaine simplicité d’âme qui empêche de comprendre beaucoup de choses, et principalement celles dont se compose le monde réel. Sans s’attendre à le trouver parfait, ce qui ne serait pas seulement de la simplicité, mais de la folie, on se figure qu’entre lui et le type idéal qu’on s’en est formé d’après les maximes spéculativement admises, il existe au moins quelque analogie. Rien de plus trompeur que cette pensée ; Soigneusement inculquée au peuple, elle aide à le gouverner, et sous ce rapport elle peut quelquefois être un bien relatif. Elle est naturelle aussi aux esprits élevés et candides. L’expérience, il est vrai, les en désabuse, mais presque toujours trop tard. »

Je sais tout l’avantage que les personnes malveillantes pour Lamennais peuvent tirer des hésitations, des démarches embarrassées et contradictoires qui suivirent son retour en France ; mais la scission d’une vie ne se fait pas en un jour. La raideur de l’esprit se concilie

  1. M. de Lamennais, M. de Montalembert, M. Lacordaire.