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a vaincu. Ses tendances sont devenues l’esprit général du clergé, pendant que le fondateur, entraîné par sa destinée, voyageait vers un autre ciel. Ce que Socrate a été pour le mouvement philosophique de la Grèce antique, Lamennais l’a été pour le mouvement catholique contemporain : tout procède de lui. Le changement qu’il avait désiré avec une si ardente passion s’est fait sans lui, malgré lui et avec ses malédictions. S’il eût attendu quelques années, il eût vu les principes qui le faisaient condamner devenir la politique générale de l’église ; mais telle était sa sincérité, tel son besoin de dire leurs vérités aux puissans, que peut-être alors lui eussent-ils moins souri que quand ils lui valaient la désapprobation des esprits timides et les clameurs de la médiocrité.

Quoi qu’il en soit, le triomphe accompli de l’ultramontanisme et des doctrines d’un fidéisme exagéré est le fait de Lamennais et la partie la plus nette de son héritage. Au point de vue politique, nous croyons que l’abandon des vieilles maximes gallicanes a été une imprudence dont l’église se repentira la première ; mais sous le rapport du goût et du mouvement intellectuel, on ne peut nier que la nouvelle école catholique sortie de M. de Lamennais ne soit supérieure à l’ancienne. En un sens, bien plus hostile à la raison, elle est en un autre plus rapprochée de la philosophie. Elle n’a pas ce dédain et cet éloignement pour le laïc qui formaient un des ridicules de la théologie scolastique ; au lieu de s’user à d’insignifiantes querelles ou de se borner à un ministère respectable, mais insuffisant pour les besoins du temps, elle entre dans le mouvement du siècle, en adopte les problèmes et essaie de les résoudre à sa manière. Je ne veux pas méconnaître ce qu’a de profondément vénérable ce genre particulier de bon esprit, empreint d’un peu de jansénisme, qui, jusqu’à la fin de la restauration, a fait un des caractères du clergé français : quand il se joint à cela un parfum des anciennes mœurs ecclésiastiques, comme cela a lieu dans la compagnie de Saint-Sulpice par exemple, il en résulte une des plus suaves et des plus touchantes réminiscences du passé qui se puissent imaginer. Certaines personnes, qui considèrent la trop grande importance du clergé comme un danger pour le libre développement de l’esprit, pensent même que l’inoffensive nullité de l’enseignement ecclésiastique d’autrefois valait mieux que les prétentions d’une école qui mérite bien plus d’être prise au sérieux. Je ne suis pas de cet avis. Il ne faut jamais croire qu’on ait tellement raison que les adversaires ne soient bons qu’à être affaiblis. On doit au contraire désirer que chaque idée soit représentée d’une façon aussi distinguée que possible. Il y a une solidarité entre toutes les parties du développement intellectuel d’une époque ; les grands siècles sont ceux où