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l’église, il ne se renouvela pas ; en philosophie du moins, il ne dépassa jamais ses cahiers du séminaire. Cherchant toujours des argumens pour une cause bien plus que la vérité indifférente, il ne fut qu’une puissante machine intellectuelle travaillant sur le vide. La foi à son infaillibilité l’empêcha de rien demander au dehors et de comprendre l’esprit du véritable critique, se livrant pieds et mains liés aux faits pour que les faits le traînent où ils veulent.

Qu’on ne se méprenne pas sur ma pensée : il serait aussi puéril de reprocher à Lamennais de n’avoir pas été un exact et judicieux auteur qu’il le serait de reprocher à tel laborieux érudit de n’avoir point été un écrivain de brillante imagination. Le devoir de la critique n’est pas de regretter que les hommes n’aient été autre chose que ce qu’ils furent, mais d’expliquer ce qu’ils furent. Né pour s’imposer et non pour chercher, héritier déclassé des grands papes du moyen âge, des Grégoire et des Innocent, Lamennais ne pouvait se contenter d’un de ces rôles modestes, mais fructueux, où l’homme se fait oublier pour son œuvre. Au milieu des entraves que la société moderne crée aux ambitions, Lamennais ne pouvait être que chef d’école ou de part. Ses qualités et ses défauts le prédestinaient à ce rôle ; mais ce rôle à son tour devait décupler ses défauts. Rien ne rapetisse. l’esprit comme de déserter ainsi l’atmosphère libre de l’esprit humain pour se confiner dans un cénacle d’hommes distingués sans doute par cela seul qu’ils s’attachent à une idée, mais cependant secondaires, puisqu’ils acceptent le nom de disciples. Presque toujours ce dangereux régime intellectuel nuit plus au maître qu’aux disciples, et en effet cette fois le cénacle perdit le maître, et produisit des disciples plus fidèles que lui-même à sa propre pensée.

Bien d’autres avant lui avaient mis la passion et l’intrigue au service de leur foi religieuse ; la nouveauté hardie de Lamennais consista à faire du catholicisme un parti. Si cette expression est un blasphème, c’est à lui qu’en doit remonter la responsabilité. La ligue seule avait donné l’exemple de cette position singulière que le catholicisme tend de plus en plus à prendre dans l’état, de cet appel peu sérieux à la démocratie, de ce mélange bizarre d’esprit révolutionnaire et de tendances rétrogrades. Au milieu de l’uniformité de la vie contemporaine, tout ce qui groupe les hommes et constitue une force en dehors de l’état est un tel bienfait que le parti catholique a pu quelquefois servir utilement la cause du progrès. Comme protestation contre l’ancienne scolastique, comme tendance vers une méthode théologique plus accommodée aux besoins du temps, comme contrepoids au goût un peu exclusif de l’université, l’école de Lamennais avait raison, et au fond sur tous ces points elle