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M. DE LAMENNAIS

Œuvres posthumes de F. Lamennais, publiées selon le vœu de l’auteur par E.-D. Forgues, Paris 1856



On raconte que, quand les missionnaires de Rome, après avoir converti au christianisme les Saxons de Northumbrie, les engagèrent à renverser eux-mêmes les idoles que jusque-là ils avaient adorées, nul n’osa porter la main sur ces images longtemps consacrées par la foi et la prière. Au milieu de l’hésitation générale, un prêtre se leva et abattit d’un coup de hache le dieu dont il connaissait mieux que personne la vanité. L’attaque du prêtre a toujours ainsi un caractère particulier de froideur et d’assurance : on sent dans les coups qu’il porte une sûreté de main que le laïc n’atteint jamais. Celui-ci, habitué à regarder de loin le sanctuaire, ne s’en approche qu’avec respect, même quand la divinité l’a quitté ; mais le prêtre, qui en connaît les secrets, l’ouvre et le livre aux regards avec l’audace d’un familier.

La critique doit saisir avec empressement les occasions qui lui sont ainsi offertes de pénétrer des mystères qu’un voile épais lui dérobe presque toujours. La foi repose à des profondeurs où il est d’ordinaire difficile de la suivre : la foi du laïc d’ailleurs arrive rarement à ce degré de netteté qui se laisse clairement définir et discuter. Mais l’apologiste devenant apostat, le prêtre laissant par son testament une sanglante injure au dogme qu’il a servi, voilà des phénomènes où les mystères de la croyance apparaissent pour ainsi dire à nu. Je ne sais si depuis Tertullien le monde a vu un signe de ce genre plus frappant que celui que Lamennais réservait à notre âge. Jamais plus grandes passions n’excitèrent dans une plus grande âme