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sa douceur que d’autres ne font par leurs colères. Naïvement et sans calcul, il a mis à nu ce contraste douloureux entre un châtiment terrible et l’innocence inoffensive d’une telle nature, rendant ainsi d’autant plus sensible l’incompatibilité qui existant entre la domination étrangère et les sentimens les plus modérés. Les partisans de l’Autriche ne s’y méprirent pas, et dès la publication des Prisons ils s’efforçaient de montrer encore, le carbonaro, et le révolutionnaire dans ce chrétien, doux, et fervent. D’un autre côté, les libéraux extrêmes, les révolutionnaires ne pardonnaient pas à Silvio Pellico ses sentimens modérés et pieux. Ils l’accusaient d’avoir abandonné la cause pour laquelle il avait souffert, de scandaliser les penseurs par l’expression de ses croyances religieuses, de servir indirectement l’Autriche. Peu s’en est fallu qu’on ne finît par disputer à l’auteur des Prisons le triste honneur d’avoir été sous les plombs. Les révolutionnaires se trompaient sur un point : Silvio Pellico n’avait point à répudier des opinions qu’il n’avait jamais partagées. À sa sortie de prison, il était encore ce qu’il n’avait jamais cessé d’être, un patriote sincère et modéré. Seulement à ce vieux fonds était venu se joindre un sentiment religieux plus prononcé. Ses Lettres récemment publiées, le montrent tel qu’il fut dans la dernière partie de sa vie, après qu’il eut échappé au Spielberg. Il vécut dès-lors à Turin, retiré parmi les siens, entretenant une correspondance suivie avec ses amis, une correspondance semée de pensées fines, de traits ingénieux, et de plaintes sans amertume échappées à une âme éprouvée. Ses lettres les plus touchantes, sont celles, qu’il adressait au comte Confalonieri, son compagnon de captivité. Du reste, il avait gardé sur sa figure pâlie comme un reflet de la solitude, et la captivité lui avait laissé des alternatives permanentes de souffrance. Quand on le provoquait à écrire, à se montrer, à exercer son influence, par la littérature, il répondait qu’il était un homme de peu d’haleine, un homme assis à deux pas de la tombe, et qui sourit aux voix qui lui disent : Lève-toi ! — Oui, mon frère, mon ami, ajoutait-il, je me lèverai, mais, non pas sur la terre. » La difficulté de vivre, c’est là le prix dont Silvio Pellico payait le droit d’être considéré par l’Italie comme un homme ayant souffert pour elle et ayant donné à tous ses vœux secrets le lustre d’une aspiration légitime. Ce serait une erreur au surplus de croire que dans cette douceur il n’y eût ni fierté, ni fermeté. Dans ses lettres, on le voit maintenir nettement son indépendance, et son individualité, même, contre Gioberti, dont il était l’ami, et qui prétendait un peu trop lui faire partager la solidarité, de ses doctrines par sa dédicace du Primato. En politique, Silvio Pellico était du parti du comte Balbo. Comme celui-ci, il croyait peu à l’efficacité des révolutions, il croyait à la possibilité d’une régénération de l’Italie par la réforme des mœurs et des idées, surtout par l’alliance de la religion et de la liberté. Il est mort dans ces sentimens, loin du bruit et des agitations. Les Lettres aujourd’hui publiées ravivent cette figure douce et mélancolique de l’Italie contemporaine.

Un des charmes des correspondances, de toutes, les œuvres qui ont ce caractère, intime, c’est qu’elles laissent voir une nature dans sa vérité. Que ce soit un homme d’action, un poète, un penseur, l’intérêt est le même. Croît-on que le drame intérieur d’une intelligence recueillie, et active soit toujours abstrait et froid ? On n’aurait qu’à lire ce journal que publiait ré-