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son passage, ne pouvant l’accompagner jusqu’à son dernier asile ; la jeunesse lui tresse des couronnes, et toutefois, en voyant passer ces honneurs, on ne peut s’empêcher de se souvenir qu’il y a peu de temps encore mourait un autre poète, Alfred de Musset, qui avait bien aussi quelques titres à être appelé le poète de la jeunesse. Il n’avait point chanté Lisette, il est vrai : il avait écrit les Nuits, l’Espoir en Dieu ; il s’en est allé tranquille, accompagné de quelques amis, sans qu’il ait été nécessaire de prendre des mesures pour tenir la foule à distance. M. de Lamartine a voulu récemment ne point se laisser soupçonner de faiblesse à l’égard d’Alfred de Musset, — un auteur de poésies légères ! selon lui ; il s’est armé d’un singulier rigorisme. Il est à croire qu’il pèsera dans la même balance les œuvres de Béranger, qu’il se propose d’étudier.

Que faut-il donc pour fixer cette popularité variable et inconstante qui ne s’attache qu’à certains noms privilégiés ? Faut-il avoir souffert pour son pays, pour une cause généreuse ? Faut-il avoir écrit un de ces livres dont le langage émouvant parle à tous les cœurs ? Si cela suffisait, quel homme pourrait être plus justement populaire que Silvio Pellico, le poète de la résignation douloureuse, dont les Lettres, recueillies et publiées d’abord en Italie, viennent d’être traduites avec un zèle intelligent et sympathique par un écrivain français, M. Antoine de La Tour, qui avait déjà traduit le livre des Prisons ? Silvio Pellico a payé d’une captivité de dix années une palpitation patriotique ; il a écrit une œuvre qui fut un jour une révélation. S’il n’a point eu la popularité bruyante, il a conservé un autre genre de popularité auprès des âmes religieuses et sincères qui ont senti ce qu’il y avait d’éloquence dans cette simplicité et cette douceur dont chaque page du livre des Prisons est empreinte. L’histoire de Silvio Pellico est une des légendes de l’Italie de ce temps, et ses Lettres, traduites par M. de Latour, complètent aujourd’hui la légende. Voici en effet un poète, déjà connu par Françoise de Rimini, ami de Foscolo, qui, vers 1820, unissant ses efforts à ceux de quelques autres compagnons de sa jeunesse, fait un journal, le Conciliateur, dont la pensée, en apparence toute littéraire, est de réveiller le sentiment national en Italie. L’œuvre est naturellement bientôt interrompue. Quelques-uns des écrivains sont obligés de fuir et de s’exiler. L’un d’eux, Silvio Pellico, est pris ; il est transporté de Milan à Venise, où il est enfermé sous les plombs. Il est condamné à mort comme carbonaro, et par grâce on l’envoie dans une forteresse de la Moravie, au Spielberg. C’était chose sérieuse : au Spielberg, on ne chantait pas le chambertin et le romanée dans un amusant et ironique refrain. Le captif, de l’enceinte de sa prison, ne pouvait entendre l’écho de sa voix retentissant au dehors. Dix années de silence, de solitude et de torture morale passent sur cette âme de poète entièrement séparée du monde. Un jour, après dix ans, la porte s’ouvre, et Silvio Pellico peut de nouveau respirer l’air de la liberté. Ce captif qui vient de souffrir pour un vœu patriotique, pour une aspiration libérale, et qui aurait à exercer de si terribles représailles, ce captif de la veille, va-t-il se venger ? Il se venge en effet, mais il se venge à sa manière, par le récit simple et vrai de ces dix années de captivité et de solitude, par un livre ému, douloureux, plein de mansuétude chrétienne.

L’originalité de Silvio Pellico, c’est d’avoir plus fait contre l’Autriche par