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tentatives d’insurrection, voilà la série des faits et des étapes conduisant l’Italie au grand but, l’unité ! — Telle est l’atmosphère chimérique dans laquelle vivent des hommes qui ont la prétention de transformer leur pays. Ils n’ont qu’un malheur, c’est d’être incompatibles avec toute réalité, et d’un autre côté les gouvernemens peuvent voir par là que le meilleur moyen de combattre les rêves révolutionnaires, c’est de leur opposer une politique de libérales et justes réformes, inspirées par le sentiment de la situation. Les dernières insurrections italiennes n’étaient évidemment que l’épisode d’un mouvement plus étendu qui embrassait plusieurs pays, et la France elle-même. Dans quelle mesure ces tentatives étaient-elles solidaires ? On trouvera peut-être quelque lumière de plus dans le procès qui s’instruit contre plusieurs Italiens accusés de complot contre la vie de l’empereur, nouveau chapitre de la triste histoire des conspirations.

Dans un temps où la main sévère des pouvoirs contient les explosions violentes, où la vie intérieure de la plupart des pays se réduit le plus souvent à un petit nombre de faits, une fortune singulière a voulu qu’un des événemens politiques les plus récens et les plus saillans en France fût un événement presque tout littéraire. C’est la mort de Béranger, dont les jours étaient comptés depuis quelque temps déjà. Béranger s’en est allé, comme tant d’autres s’en vont chaque jour. Il était né en 1780, dans ce Paris plein d’or et de misère, ainsi qu’il le disait dans le Tailleur et la Fée. Il s’est éteint à soixante-dix-sept ans, après avoir offert le spectacle d’une grande existence dans une humble condition et d’une grande influence due à des chansons. Il avait lui-même exprimé le vœu d’être enterré sans bruit, sans discours et sans manifestations ; il a été satisfait plus qu’il ne l’aurait pensé peut-être. Le gouvernement a fait la paix sur son tombeau, il s’est chargé des funérailles, et c’est ainsi qu’entouré de ce déploiement d’honneurs, le poète est entré dans l’histoire avec ses refrains. Les uns exagéreront cette gloire, les autres la rabaisseront ; en réalité, Béranger restera le premier des chansonniers, un esprit ingénieux et fin qui a su donner un éclat nouveau à cette forme légère de la chanson, un homme qui a su conduire son existence avec une simplicité pleine d’art. La popularité souffle où elle veut : elle prit Béranger à son premier pas, elle l’a suivi jusqu’à sa dernière heure, et cette popularité, on ne peut le nier, le poète l’a prudemment administrée pendant quarante ans, sachant s’arrêter au moment voulu et se faire une vie calme, habilement modeste, à l’abri des variations du temps. Quand il eut fait la guerre de quinze ans et que la révolution de 1830 fut venue, il se tut, ou à peu près ; il se tut encore après la révolution de 1848, refusant les conseils de son bon sens à ceux qui prétendaient trouver un évangile dans ses chansons et une constitution dans le Traité de politique à l’usage de Lise. La retraite était dans son goût, et elle était aussi dans son intérêt. Il savait qu’à s’aventurer dans les honneurs et dans les grands rôles, il risquait justement cette popularité à laquelle il tenait ; il n’ignorait pas qu’il en est des poètes comme des soldats qui ont gagné ou perdu leurs batailles suivant le souffle du jour. Béranger voulait avoir toujours gagné ses batailles, et rester le poète de la jeunesse, le poète national, comme on l’a nommé. Il savait être prévoyant ; il n’y a qu’une chose qu’il n’avait pas prévue sans doute, c’est qu’après sa mort il serait reçu au seuil de l’église par l’orgue jouant l’air : On parlera de sa gloire, etc.,