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s’accumulent, les haines fermentent, et un jour, sous un prétexte frivole en apparence, une insurrection éclate. C’est ce qui est arrivé. Tout semble indiquer que les causes religieuses ont une grande part dans les événemens actuels. Si l’on veut se faire une idée de l’antipathie secrète, invincible, qui existe entre les Hindous et leurs maîtres, on n’a qu’à lire une lettre anglaise qui raconte le soulèvement d’un régiment, toujours à l’occasion de ces malheureuses cartouches. Les officiers anglais consentirent à brûler les cartouches pour rassurer leurs soldats ; mais alors les Indiens dirent qu’on ne les aurait pas brûlées si elles n’avaient pas été impures, qu’on ne les détruisait que pour sortir d’embarras, et que le gouvernement saurait bien trouver d’autres moyens pour les faire chrétiens à leur insu, d’où ils tiraient la conclusion qu’il valait autant prendre les armes tout de suite. Les événemens qui s’accomplissent n’ébranleront pas d’une manière sérieuse sans doute la puissance anglaise dans l’empire indien ; mais ils la conduiront à observer de plus près les besoins, les instincts, l’esprit de cette population de cent cinquante millions d’hommes qu’il s’agit de dominer avec une petite armée européenne servie par toutes les ressources de la civilisation.

L’Algérie est moins vaste à coup sûr que l’empire des Indes ; elle est aussi bien moins éloignée de la France, et par suite plus facile à observer, à préserver ; la population indigène ne dépasse pas trois ou quatre millions d’hommes. Il y a donc plus d’un contraste entre les deux conquêtes ; tout diffère, excepté la nature de l’œuvre poursuivie simultanément sur un double théâtre par le génie des deux plus grands peuples de l’Occident. La Kabylie, on le sait, était comme un lieu interdit au milieu de nos possessions africaines ; par l’expédition qui vient de s’achever, elle est définitivement ouverte à la domination de la France. Cette expédition a duré deux mois ; elle a été marquée par de difficiles travaux, par de nombreux combats, dont quelques-uns ont été soutenus avec une opiniâtreté singulière, et elle a nécessité tout un ensemble de combinaisons destinées à envelopper le pays, à enlever rocher par rocher ces massifs où les tribus kabyles se croyaient à l’abri de toute atteinte. Trois divisions de l’armée d’Afrique étaient employées à cette laborieuse opération, et chacune d’elles a concouru énergiquement à ce qu’on pourrait appeler une prise par escalade de la Kabylie. C’est là effectivement le caractère de cette expédition, durant laquelle nos soldats ont eu, à chaque pas, à gravir, à emporter des sommets formidables et défendus non sans habileté. Après deux mois de campagne, les trois divisions françaises se sont trouvées réunies devant les dernières hauteurs du Jurjura, à l’abri desquelles se tenaient les tribus les plus belliqueuses et les plus fières, grossies de tous les fanatiques et de tous les mécontens du pays, accourus avec leurs familles et leurs troupeaux dans ce dernier retranchement de la résistance kabyle. Ces tribus ont pu se croire encore inexpugnables dans le creux de leurs rochers et dans leurs villages crénelés ; elles ne se sont point laissé intimider par la présence de nos soldats, campés à leurs pieds ; elles ont attendu l’assaut, et un combat violent a suffi pour nous livrer ces hauteurs restées jusqu’ici indépendantes et presque inaccessibles. De la série d’opérations qui ont rempli ces deux mois, il est résulté que toutes les tribus sont venues successivement faire leur soumission et donner des otages ; les plus indomptées ont été réduites par la force et ont expié leur