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avec une grande dextérité ses instrumens grossiers ; cet ouvrier industrieux attisait son foyer avec deux outres de peau de bouc auxquelles était attaché un tuyau de cuivre ; un petit trou qu’il ouvrait et bouchait alternativement avec la main servait à l’introduction de l’air. « Nous fûmes si charmés de son adresse, dit M. Baikie, que nous lui fîmes présent d’un marteau. »

Ce ne sont pas seulement les nègres d’Yimaha qui sont actifs et industrieux. Dans l’Igbo, qui fut visité bien plus longuement au retour qu’au départ, il se fabrique de jolis tissus à raies. Les chefs de l’Igbo forment une aristocratie très compliquée, et sont beaucoup plus belliqueux que ceux de l’Igbira. Ils sont couverts de bracelets et de colliers. Leur costume se compose uniformément d’une pièce de calicot serrée autour des reins, d’une peau de léopard jetée sur les épaules, et d’un bonnet rouge orné de plumes rouges et blanches, dont le nombre indique combien d’ennemis ils ont tués corps à corps. Beaucoup en portent cinq ou six, et le roi a droit à sept.

Dans ce pays, assez avant dans l’intérieur des terres, entre le Niger et la rivière du Vieux-Calebar, il y a une ville sainte du nom de Aro ; elle est, à ce que disent les naturels, le séjour de Tchuku, l’Être suprême, lequel a un temple où les djù-djù (prêtres) entrent en communication directe avec lui. Les rites de cette religion sont grossiers et bizarres. Lorsqu’un homme va consulter Tchuku, il est reçu par un prêtre, au bord d’un ruisseau, en dehors de la ville. On sacrifie une poule, et si l’offrande est mal reçue, les prêtres jettent dans l’eau une teinture rouge : ils prétendent que l’eau du ruisseau est changée en sang, et que le pèlerin a été emporté par Tchuku. On ne le revoit plus en effet, et il paraît que les dju-djù le dirigent à la côte pour le vendre comme esclave. Une consultation à Aro n’est donc pas sans danger ; toutefois il est facile avec une offrande convenable de se rendre la divinité propice, et M. Baikie vit un homme qui revenait d’Aro ; il était revêtu encore du caractère sacré que communique ce pèlerinage, et en signe de sainteté il avait le tour des yeux barbouillé de jaune.

Il y a un autre dieu que Tchuku, lequel s’appelle Grissa ou Tchuku-Okelé. Celui-ci est le dieu créateur chez lequel les bons iront, après leur mort, faire bombance, à moins qu’ils ne préfèrent retourner dans telle contrée qui leur plaira sur la terre. Cette croyance est l’origine du touchant espoir que des nègres esclaves témoignent en mourant lorsqu’ils disent qu’ils reverront leur pays natal. À ces deux divinités, l’une toute-puissante, l’autre bienfaisante, est opposé Okomo, l’esprit du feu. C’est lui que les méchans consultent quand ils veulent réussir dans quelque entreprise perverse. Heureusement l’on peut contre-balancer par d’autres prières les vœux d’un ennemi ; ainsi, lorsqu’un homme méditant un meurtre a été invoquer Okomo, sa future victime peut, si elle en est avertie, aller à son tour porter ses prières et surtout ses présens sur son autel.

À Abo, principale ville de l’Igbo, tous les habitans de quelque distinction, hommes et femmes, ont un djù-djù (ce mot s’applique aux objets sacrés aussi bien qu’aux personnes) qui les préserve de toute mauvaise influence. Ce djù-djù consiste habituellement en une mâchoire inférieure de cochon, ou, à défaut d’un si beau talisman, en un morceau de bois qui a cette forme. Les morts sont couchés dans des fosses creusées au milieu même de leur