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la loi agraire à la loi féodale, objet de leur aveugle préférence : « Les terres ont été divisées, et de là s’est formé cet ordre de paysans qui ont envahi l’Europe et subdivisé le sol[1]. » Ce qu’ils condamnent, nous sommes disposé à le bénir ; ce qui leur semble une cause de décadence, nous le regardons comme un instrument de progrès matériel et d’élévation morale.

La division du sol procure en effet une existence indépendante au plus grand nombre, une aide à la fois matérielle et morale à ceux qui demandent leur entretien au salaire.

Le revenu net exprime ce que la famille du petit propriétaire obtient en dehors du travail payé sur le produit, ce qu’elle aurait été obligée de sacrifier comme prix de fermage. Elle est donc plus riche d’autant, quelque mince que soit ce revenu, et en outre, sans parler des liens qui la rattachent au sol et à l’état, elle profite de l’inappréciable avantage de posséder un métier au soleil, qui lui permet d’utiliser les jours où l’occupation salariée vient à manquer.

Que dirons-nous des avantages que présente la petite propriété au point de vue essentiel de la répartition des richesses ? Il convient d’écouter à ce sujet un des économistes les plus autorisés de l’Allemagne, Rau : « Quand on veut, dit-il, discerner ce qui est utile ou nuisible au bien-être d’un peuple, il faut ne pas se borner à mesurer la quantité de la richesse générale, mais s’inquiéter de savoir comment cette richesse est répartie entre les divers membres de la société. La petite propriété n’a pas seulement pour elle l’avantage de fournir une plus grande masse de produit brut et de produit net, elle la répartit mieux. Plus de ménages peuvent vivre dans l’indépendance, et le nombre des simples salariés diminue ; les plus minces bénéfices répandent au milieu de cette population nombreuse les élémens de l’aisance et du perfectionnement moral. Pendant que l’on écarte le danger de ces existences qui énervent le corps et l’âme, et que multiplie la concentration exclusive de la richesse entre un petit nombre de mains, l’esprit industrieux des petits cultivateurs songe à donner l’emploi le plus productif aux plus faibles épargnes. Sans doute les frais d’exploitation sont plus considérables, mais ils contribuent à fournir l’entretien des hommes laborieux. La population rurale, qui forme, sans contredit, la partie la plus utile de la nation, se développe en mettant en œuvre toutes les forces productives du pays, et en même temps les autres classes peuvent se multiplier, car on leur fournit plus de matières premières et de denrées. Ces avantages se révèlent avec une énergie d’autant plus grande, que ceux qui cultivent possèdent plus généralement le sol comme propriétaires.

  1. Mounier et Rubichon, de l’Agriculture en France, t. II, 362.