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cette vérité est d’une telle force et d’une telle étendue que je ne saurais pas de moyen plus sûr d’amener la culture au sommet d’une montagne que de permettre aux habitans des villages adjacens de l’acquérir en toute propriété. En réalité, nous voyons que dans les montagnes du Languedoc ils ont transporté de la terre à dos, dans des paniers, pour former un sol là où la nature l’avait refusé. » Nous avons récemment pu constater des faits analogues en Suisse : l’homme y fait la terre.

Peut-être, si Arthur Young avait pu prévoir le grand changement qui était à la veille de s’accomplir, si on lui avait appris que la terre devait passer en France, en majeure partie, entre les mains de ceux qui la cultivent, l’avenir lui serait apparu sous une couleur moins sombre, et il n’aurait pas tracé des lignes pareilles à celles-ci : « Les remarques que j’ai faites dans les diverses provinces de ce royaume démontrent à mes yeux que sa population surpasse tellement son industrie, qu’il serait beaucoup plus puissant et florissant, s’il comptait cinq ou six millions de moins dans le nombre de ses habitans. L’excessive population qui le surcharge présente de toutes parts un spectacle de misère absolument incompatible avec le degré de prospérité auquel il pouvait atteindre sous son ancien gouvernement. Le principal malheur de ce royaume est d’avoir une population si grande qu’il ne peut ni l’employer, ni la nourrir. »

Soixante-dix années ne se sont pas écoulées depuis le voyage d’Arthur Young, et la France emploie activement, elle nourrit beaucoup mieux une population qui s’est encore accrue de moitié ! L’affranchissement complet du sol doit revendiquer une bonne part dans ce grand résultat ; il permet à la propriété de passer librement entre les mains de ceux qui peuvent en tirer le meilleur parti, et l’on ne saurait oublier ici ces belles paroles de Montesquieu : « Les terres rendent moins en raison de leur fertilité que de la liberté de leurs habitans. »

Chose étrange ! Arthur Young trouvait la France trop peuplée alors qu’elle ne comptait que 24 millions d’âmes, et il attribuait à la division du sol la multiplication des habitans. Trente ans plus tard, Malthus prétendait que la France faisait une effrayante épreuve des effets que peut produire l’extrême division des propriétés, et il prédisait que ce pays serait, au bout d’un siècle, aussi remarquable par son extrême indigence que par l’extrême égalité des propriétés. « Il n’y aura plus guère d’autres personnes riches que celles qui recevront un salaire du gouvernement. » Enfin d’autres Anglais, traduisant ces craintes dans un mot d’une énergique trivialité, proclamaient que la France allait devenir une garenne de pauvres. Aujourd’hui les recensemens successifs de la population prouvent qu’il