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autrement en Bretagne, où vivait un esprit national tellement ombrageux, que l’énergie même de ce sentiment en excuse les plus aveugles inspirations. Depuis la fin du XVIIe siècle, les états de cette province eurent le sort de ces assemblées qui se consolent quelquefois par la vivacité de leurs paroles de la nullité de leurs attributions. Si des ports nombreux furent créés dans cette grande péninsule, si de larges routes vinrent féconder ses landes et la relier aux contrées voisines, ce ne fut pas sans que les états opposassent à ces mesures des protestations aussi vaines d’ailleurs que l’étaient alors leurs droits politiques. Entre ces droits, celui de faire porter au roi de respectueuses représentations contre ses édits ou contre les arrêts de son conseil était peut-être le plus chaleureusement défendu par les aspirans toujours nombreux à la députation en cour. Cette faculté d’ailleurs n’était pas sans importance dans le silence universel du temps : elle avait une valeur plus réelle que ce prétendu droit d’octroyer un don gratuit qui, à quelques milliers de francs près, était arrêté d’avance. Ce don n’était d’ailleurs perçu que sur les tailles, le seul impôt dont disposât la province pour les frais de son administration, tous les autres étant directement levés au nom du roi, sans aucune sorte de contrôle ou d’assentiment.

Des prérogatives constitutionnelles illusoires, des habitudes d’administration où dominait une incurable inertie, telle était donc la condition générale des pouvoirs locaux dans la première moitié du XVIIe siècle. Ceci explique et semble justifier d’une part l’activé intervention de la puissance ministérielle dans toutes les affaires locales, de l’autre la parfaite indifférence avec laquelle les provinces virent tomber dans la désuétude et l’oubli des institutions qui ne donnaient lieu qu’à un vain cérémonial et à des charges supplémentaires. Depuis assez longtemps, la plupart des états provinciaux de la monarchie avaient cessé d’être convoqués ; la Normandie perdit les siens en 1655[1], sans que cette disparition fût un événement ni pour elle ni pour le royaume. La Bretagne, la Bourgogne, l’Artois, le Languedoc, la Provence, quelques petites localités du midi conservèrent seules une représentation devenue purement nominale. À partir de 1672 environ, on ne souffle mot ni à Rennes, ni à Toulouse, ni à Dijon, et les états n’ont plus d’autre mission que de voter des gratifications au gouverneur et à l’intendant, aux secrétaires d’état, aux commissaires du roi et à leurs propres officiers. Il régnait alors dans ces assemblées, comme dans la presque totalité des corporations municipales, un esprit si mesquin et si naïvement égoïste, que leur chute ne saurait guère provoquer de regret, puisqu’en compensation

  1. Histoire du Parlement de Normandie, par M. Floquet, t. V.