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rencontrent pleinement avec les observations faites par un jurisconsulte distingué, M. Championnière, prématurément enlevé à la science du droit.

En consultant les documens qui mettent sur la voie de l’ancienne division du territoire, on constate avec surprise, dans un grand nombre de localités, que le chiffre des propriétaires ne s’éloignait pas beaucoup du chiffre actuel. Les causes premières qui produisaient cet état de choses n’ont pas changé, « Les terres se vendent toujours au-delà de leur valeur, dit un écrivain du temps, excellent observateur ; ce qui tient à la passion qu’ont tous les habitans pour devenir propriétaires. Toutes les épargnes des basses classes, qui ailleurs sont placées sur des particuliers et dans les fonds publics, sont destinées en France à l’achat des terres. » Ce qui a surtout frappé Arthur Young dans le cours de son voyage en France, c’est la grande division du sol parmi les paysans. Il affirme que plus du tiers du sol leur appartient. Les substitutions, les droits de primogéniture et les autres règles qui dominaient la distribution des fortunes dans les rangs élevés de la société ne s’appliquaient point au modeste avoir du cultivateur : aussi trouve-t-on, dans un rapport secret fait à un intendant quelques années avant la révolution, ce passage qu’on croirait écrit d’hier : « Les successions se subdivisent d’une manière égale et inquiétante, et, chacun voulant avoir de tout et partout, les pièces de terre se trouvent divisées à l’infini et se subdivisent sans cesse. » A la même époque, Turgot parlait de la division des héritages, qui empêche les enfans de subsister uniquement de la terre, et Necker constatait qu’il y avait alors une immensité de petites propriétés rurales.

Ce résultat était dû à la fois au génie national, à la rareté du capital d’exploitation, à la nature du sol et aux progrès déjà accomplis. Le régime de la petite propriété semble, s’il nous est permis de nous exprimer ainsi, inhérent à la constitution de la France : voilà ce que ne pouvaient comprendre ni Arthur Young ni Malthus. Aussi combien leurs sombres prévisions n’ont-elles pas été démenties par les faits ! « Les paysans, dit Arthur Young, ont partout de petites propriétés en France, à un point dont nous n’avons pas d’idée. Le nombre en est si grand que je croirais qu’il comprend un tiers du royaume. Ces petites propriétés existent même dans les provinces où les autres modes de tenure dominent. Il se trouve quelques paysans riches, mais en général ils sont pauvres à cause de la trop grande division de leurs terres entre leurs enfans. J’ai vu plus d’une fois cette division portée à tel excès que dix perches de terre, avec un arbre fruitier au milieu, formaient le siège d’une famille… La division des fermes et la population, ajoute le même écrivain,