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ceux dont l’activité et le courage ont bien conduit les affaires publiques jusqu’à cette réunion ; mais maintenant qu’elle est accomplie, il reste à valider ce qui est fait, à prévoir ce qui est à faire. La souveraineté, je le dis hardiment, vous appartient désormais. »

À cet argument il ajoute des exemples, et il démontre que la coutume nationale est, en ce qui concerne la souveraineté, conforme au droit rationnel qu’il a précédemment établi. Ensuite il adjure l’assemblée, par les considérations les plus pressantes, de trancher, sous l’inspiration de Dieu et de la conscience, cette question qui arrête tout, et sans laquelle tout le reste ne vaut pas la peine qu’on s’y fatigue. Il ne s’agit que d’une déclaration de principes ; il n’est donc point nécessaire de repousser personne, il n’y a pas lieu à exciter des haines. Il existe un projet conciliant, approuvé par la nation de Bourgogne, et dont on va bientôt donner lecture. « Pourquoi donc hésiter ? dit-il en finissant ; pourquoi baisser la tête ? Le conseil même déclare qu’il n’a été institué qu’en attendant la réunion des états. Et maintenant que vous voilà réunis, vous tergiversez, vous semblez regarder avec effroi, comme supérieure à vos forces, une prérogative que vos pères n’ont pas jugée plus haute qu’eux-mêmes, et que leur fermeté vous a transmise intacte ? Peut-être les princes s’y opposent-ils ? Au contraire : non-seulement ils vous le permettent, mais ils vous y aident, ils vous y poussent. Qu’est-ce donc qui pourrait vous arrêter devant une œuvre si utile et si honorable ? Je n’y pourrais voir qu’une faiblesse, une pusillanimité qui abattrait vos âmes, et qui seule vous rendrait indignes d’une si haute entreprise. Soyez donc, messieurs, pleins de foi en vous-mêmes, d’espérance et de vertu ; ne souffrez pas que cette liberté des états, si bien défendue par vos pères, soit énervée par votre mollesse, de peur qu’on ne vous mette au-dessous de vos ancêtres, que la postérité ne vous condamne pour avoir mal usé de votre pouvoir au détriment du pays, et qu’au lieu de la gloire qui attend vos travaux, vous ne remportiez d’ici qu’un éternel déshonneur. »

Ce discours nous semble merveilleusement propre à caractériser et l’orateur, et l’auditoire qui savait l’applaudir. C’est, comme nous disions plus haut, l’esprit du moyen âge qui commence à s’assimiler le génie de l’antiquité, c’est la tradition nationale qui s’appuie et s’épure à la raison philosophique. Il n’est pas indifférent non plus d’y observer l’art singulier qui a mis l’ordre dans l’argumentation, qui fait parler tour à tour la passion et le raisonnement, qui encourage en même temps qu’il éclaire, et qui semble pénétré de tous les préceptes des anciens maîtres. Combien il est regrettable que Masselin n’ait point conservé le texte français ! Nous y aurions trouvé sans doute une originalité de langage et une richesse d’expression