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elle-même, mais pour qu’elle le confie à ceux qu’elle en jugera les plus dignes. »

Jusqu’ici donc, l’orateur avait enfermé ses adversaires entre l’arbitraire, puisque aucune loi connue n’autorisait leurs expédiens, et l’anarchie. Déjà même il avait défini la royauté une fonction, non une propriété : tout était dans ces deux mots. Il revient alors à ce principe ; il ne craint pas de l’approfondir. « Et pour répandre plus de lumière sur cette question, continue-t-il, nous savons par l’histoire, et mes pères m’ont enseigné qu’à l’origine, les rois furent créés par le suffrage du peuple souverain[1], et que ceux-là furent préférés qui surpassaient les autres en courage et en capacité. C’était pour son propre avantage que chaque peuple se choisissait des chefs. Assurément, si les princes sont à notre tête, ce n’est pas pour qu’ils en fassent leur profit particulier et s’enrichissent aux dépens du public, mais pour que, négligeant leurs propres aises, ils enrichissent l’état et le fassent marcher vers le mieux. » Puis, comme il sent que ces théories et ces exemples l’entraînent bien au-delà de son but, il se retient ; il ne veut pas, dit-il, discuter la question du pouvoir dans un prince qui, à l’âge requis, gouvernerait légitimement. Il se renferme au cas présent de la minorité. Il faut un gouvernement ; ce gouvernement ne revient de droit, il l’a fait voir, ni à l’un des princes, ni à plusieurs, ni à tous ; il revient donc au peuple, qui l’avait donné et qui le reprend comme son bien, parce qu’après tout c’est lui qui souffre, et lui seul, des calamités qu’une vacance du trône ou une mauvaise régence peut amener. Il ne conteste donc pas les droits de la royauté, mais l’exercice de ces droits pendant que le roi est incapable. Il définit en outre le mot peuple, dont il s’est tant servi, et par lequel il entend la nation constituée, et non point seulement les classes inférieures, ou quelque autre classe prise à part : le peuple, c’est tout le monde, y compris les princes ; les états-généraux sont la représentation de tout le monde. « Vous donc, ajoute-t-il alors, hommes instruits, députés et chargés de pouvoirs de tous les états du royaume, qui avez en vos mains la volonté de tous, pourquoi craindriez-vous de décider que vous êtes appelés à prendre la direction du gouvernement ? Les lettres patentes qui vous ont convoqués le disent elles-mêmes ; le chancelier, dans son discours d’ouverture, autorisé par la présence du roi et des princes, l’a déclaré clairement : c’en est assez pour détruire la prétention de ceux qui n’accordent à l’assemblée d’autre attribution, d’autre but que le vote de l’impôt…Tout ce qui a été fait jusqu’à la réunion des états était provisoire. Rendons grâce à

  1. Domini rerum populi suffragio reges fuisse creatos.