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songer aux belles réformes destinées à imprimer tant d’éclat à son règne.

Lorsqu’on pénètre dans l’intimité de cette société, où l’autorité royale était seule debout au milieu des ruines qu’elle avait faites, on ne saurait s’empêcher de reconnaître qu’elle y était alors l’instrument nécessaire de tous les progrès, qu’elle seule possédait, avec une véritable puissance d’initiative, l’esprit d’entreprise et le pressentiment de l’avenir. Les divers pouvoirs locaux, qu’ils existassent comme les parlemens à titre judiciaire, ou comme les états provinciaux et les municipalités à titre administratif, n’avaient guère que la stérile ambition d’empêcher, et songeaient moins à imprimer une impulsion féconde qu’à élever des obstacles. Envahis par une sorte d’inertie jalouse, sans une vue ou un projet qui leur fût propre, les pouvoirs provinciaux ne s’animaient jamais que pour contrarier les conceptions de l’autorité centrale, ou pour défendre des prérogatives dont la première était à leurs yeux l’immobilité. S’agissait-il de simplifier le mécanisme administratif, d’ouvrir des routes, de construire des ports ou des canaux dans un intérêt public, c’était presque toujours sous le coup d’injonctions comminatoires que ces pouvoirs, dont l’œil n’embrassait que les horizons les plus étroits, consentaient à prêter leur concours moral et financier. Ce mal était endémique dans les parlemens, et bien plus encore dans les administrations provinciales. On avait vu les capitouls de Toulouse faire repousser dans les états du Languedoc l’uniformité des poids et mesures ; ils y avaient fait proscrire l’indigo, qu’ils prétendaient inférieur à leur pastel. Ces états, dont l’administration mérite pourtant d’être citée entre toutes les autres, avaient repoussé le projet de la création d’un port à Agde ; ils avaient vivement combattu l’idée d’un canal de Toulouse à Narbonne, et plus tard la même opposition s’y rencontra pour empêcher de joindre Narbonne au canal des deux mers, opposition à laquelle, selon Forbonnais, la postérité ne voudra pas croire. Le projet de dessécher les marais d’Aigues-Mortes fut aussi ajourné par suite de la résistance de la noblesse, inquiète de voir ses terres diminuer de valeur, si ces marais étaient assainis et rendus à l’agriculture. La Bourgogne n’opposa pas une résistance moins vive à Colbert pour l’exécution de ses plans industriels. Les états refusèrent tout concours aux manufactures que ce ministre se proposait de fonder dans la province, « personne ne trouvant ici, écrit le commissaire du roi, qu’il y ait aucun avantage pour le pays dans de pareils établissemens[1]. » Il n’en fut pas

  1. Correspondance administrative, t. Ier ; — administration des états provinciaux, jusqu’à la page 628.