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presse, qui interroge, et qui cherche à remuer la conscience du droit et le souvenir des ancêtres. C’est d’ailleurs une chose à remarquer ici que l’influence des études classiques qui se montre dans les discours prononcés aux états. Tandis que l’Italie pontificale et républicaine rentrait dans le génie antique par l’érudition, la philosophie et l’enthousiasme platonicien, il est singulier que, dans la France monarchique, on semblait y rentrer surtout par l’histoire et la politique. Cicéron, Salluste et Jules César sont continuellement cités par les orateurs et les écrivains de ce temps. Robert Gaguin affecte souvent la concision et les tours brusques de Tacite. On s’exerçait à calquer des discours sur ceux de Tite-Live et de Salluste ; il n’y a pas jusqu’à Jean d’Auton, le narrateur épique des guerres d’Italie, qui ne se soit livré à cet effort peu convenable à son esprit et à son sujet. En ouvrant la session, le chancelier lui-même crut devoir s’honorer de cette émulation universelle ; on sourit de le voir, dans un panégyrique de la France, amener de gré ou de force les noms de Scipion et de Pompée, de Pythagore et de Platon, mêlés à ceux de Clotaire et de saint Louis. Il ne faut pas croire qu’il n’y ait là qu’une pédanterie naïve ou un engouement littéraire : on y aperçoit un travail sensible de la pensée, qui veut s’assimiler l’esprit des anciens, et qui, s’affranchissant de l’éducation scolastique, aspire à une raison plus ample et plus appropriée à la vie et aux affaires. Chez le seigneur de La Roche, ce but est atteint ; sa forme est celle de Tite-Live ; il y a des réminiscences de Salluste et de Cicéron, mais rien de l’écolier ni du rhéteur. On voit bien qu’il s’est formé à cette gymnastique intellectuelle ; mais à travers le latin peu correct dont Masselin l’a revêtue, on trouve toujours la pensée libre, tout entière à l’affaire qu’il traite : il n’oublie ni son auditoire, ni ses adversaires, ni les ménagemens commandés par les circonstances, et il se hâte vers sa conclusion. Il faut analyser avec quelque soin son discours sur le droit des états, mal traduit et décoloré dans les Documents inédits ; on pourra juger, par cet échantillon, de ce que pouvait être, et pour les idées et pour le talent, l’éloquence parlementaire française trois cents ans avant Mirabeau.

Comme dans les autres assemblées d’états-généraux au moyen âge, la préoccupation des choses morales s’était aussi, dans celle-ci, montrée la première, et c’est sur ce terrain que la première lutte avait éclaté. Pourvoir au progrès des écoles, des lettres et de la religion, rétablir la pragmatique gallicane, considérée comme le meilleur moyen d’encourager la science dans le clergé, telle fut la matière qui enflamma d’abord les esprits. Les opinions furent excessives de part et d’autre, et peu s’en fallut, dit Masselin, que les ultra-montains ne se retirassent ou ne fussent chassés de l’assemblée.